Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous désiraient : ce fut peut-être bon goût à lui de laisser les lecteurs sur ce regret et d’en rester pour son compte aux années brillantes et sans mélange. Ce fut à coup sûr une noble action que de se refuser à quelques instances plus pressantes ; le libraire-éditeur ne lui demandait qu’un quatrième volume qu’il aurait intitulé Empire. La somme qu’il offrait était telle que le permettaient alors les ressources opulentes de la librairie et le concert merveilleux de l’intérêt public : trente billets de 1,000 fr. le jour de la remise du manuscrit. M. de Ségur n’hésita point un moment : « Je dois tout à l’Empereur, disait-il dans l’intimité ; quoique je n’aie que du bien personnel à en dire, il y aurait des faits toutefois qui seraient inévitables ; il y en aurait d’autres qui seraient mal interprétés et qui pourraient actuellement servir d’arme à ses ennemis et tourner contre sa mémoire. – Oh ! plus tard, je ne dis pas. »

M. de Ségur mourut[1] au lendemain du triomphe de Juillet. Quinze jours auparavant, un matin, sur son canapé, quatre vieillards étaient assis, lui, le général La Fayette, le général Mathieu Dumas et M. de Barbé-Marbois ; le plus jeune des quatre était septuagénaire ; ils causaient ensemble de la situation politique et de leurs craintes, des révolutions qu’ils avaient vues et de celles qu’ils présageaient encore. C’était un spectacle touchant et inexprimable pour qui l’a pu surprendre, que cet entretien prudent, fin et doux, que ces vieillesses amies dont l’une allait être bien jeune encore, et dont aucune n’était lassée.

Mais j’aime mieux finir sur un trait plus humble, plus assorti à la morale familière dont M. de Ségur n’était un si fidèle et si persuasif organe que parce qu’il la pratiqua. Sa bonté de cœur attentive et délicate ne se démentit pas un seul jour au milieu des souffrances souvent très-vives qui précédèrent sa fin. Un jour qu’il dictait selon sa coutume, son

  1. Le 27 août 1830.