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grand écrivain que nous savons, quand la Révolution française éclata et vint dégager en lui le talent, en frapper l’effigie, y mettre le casque et le glaive.

L’armée française, sous les ordres de Montesquiou, envahit la Savoie le 22 septembre 1792. Fidèle à son prince, le sénateur de Maistre partit de Chambéry le lendemain 23 ; désirant néanmoins juger par lui-même de l’ordre nouveau, et profitant d’un décret de sommation adressé aux émigrés, il revint au mois de janvier 93 : c’est durant ce séjour hasardeux qu’il eut sans doute à faire usage, pour sa justification, de la lettre ministérielle dont on a parlé. Suffisamment édifié sur le régime de liberté, il quitta de nouveau la Savoie en avril, et se retira à Lausanne, comme dans un vis-à-vis et sur un observatoire commode. Il passa dans cette ville, de tout temps si éclairée et si ornée alors d’étrangers de distinction, trois années entières, et ne rentra en Piémont qu’au commencement de 97. Le roi Victor-Amédé lui donna pour mission à Lausanne de correspondre avec le bureau des affaires étrangères ; et de transmettre ses observations sur la marche des événements en France et alentour. Les dépêches de M. de Maistre étaient soigneusement recueillies par les ministres étrangers résidant à Turin, et devenaient de la sorte un document européen. Bonaparte, nous apprend M. Raymond, trouva par la suite cette correspondance tout entière dans les archives de Venise. Qu’est-elle devenue ? Elle aurait, comme étude de l’homme, bien du prix. Devant rendre compte aux autres de ses impressions successives, M. de Maistre atteignit vite à toute la hauteur de ses pensées.

Plusieurs écrits imprimés viennent, au reste, suppléer à ce qui nous manque et nous mettre entre les mains le fil qui désormais ne cesse plus. M. de Maistre publia successivement vers cette époque :

1° Des Lettres d’un Royaliste savoisien à ses Compatriotes. M. Raymond n’en indique que deux, mais j’ai eu sous les yeux la quatrième ; elles parurent d’avril à juillet 1793.