Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/411

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pays : « Rejetez loin de vous ces théories absurdes qu’on vous envoie de France comme des vérités éternelles et qui ne sont que les rêves funestes d’une vanité immorale. Quoi ! tous les hommes sont faits pour le même gouvernement, et ce gouvernement est la démocratie pure ! Quoi ! la royauté est une tyrannie ! Quoi ! tous les politiques se sont trompés depuis Aristote jusqu’à Montesquieu !… Non, ce n’est point sur la terre la moins fertile en découvertes qu’on a vu ce que l’univers n’avait jamais su voir, ce n’est point de la fange du Manège que la Providence a fait germer des vérités inconnues à tous les siècles :

……………… Sterilesne elegit arenas
Ut caneret paucis, mersitque hœ pulvere verum ?[1] »

Et suit un éloge de la monarchie en une de ces images qui vont devenir familières à l’écrivain et qui saisissent la pensée comme les yeux : « La monarchie est réellement, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une aristocratie tournante qui élève successivement toutes les familles de l’État ; tous les honneurs, tous les emplois sont placés au bout d’une espèce de lice où tout le monde a droit de courir ; c’est assez pour que personne n’ait droit de se plaindre. Le Roi est le juge des courses. » – Que vous en semble ? A voir s’ouvrir cette lice grandiose et presque olympique dont Montesquieu eût envié avec la justesse le relief éclatant, il devient clair que le lecteur de Pindare n’a point perdu ses veilles, et que M. de Maistre est déjà trouvé.

Le Discours à madame la marquise de Costa nous le rend avec des défauts de jeunesse et presque de rhétorique encore, qui tiennent au genre ; mais en même temps on ne perd pas longtemps de vue l’écrivain nouveau, le penseur original et hardi qui se décèle, qui se dresse par endroits

  1. Lucain, livre IX. C’est Caton qui dit admirablement cela de l’oracle d’Ammon au milieu des sables.