Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/420

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longtemps. Plus loin, pour exprimer que les Français ne sont pas encore guéris ni près de guérir du mal révolutionnaire : « S’ils étaient véritablement ennuyés d’être malades, dit-il, est-ce qu’ils ne se donneraient pas tous le mot pour faire venir de la thériaque de Venise ? » Louis XVIII, comme on sait, était alors à Venise. Le maire de Montagnole continue de prendre ses compatriotes par tous les bouts, par l’énumération de tous leurs griefs, en réservant pour le dernier coup l’intérêt de la religion catholique si cher aux populations. Je continue de citer tout ce qui me paraît un peu saillant, ce pamphlet curieux étant parfaitement inconnu et introuvable aujourd’hui :

« Il y a plus de deux cents ans qu’il y eut déjà un tapage en France pour les affaires de huguenots. Notre curé en parlait un jour avec M. le châtelain : il appelait cela la Digne ou la Ligue, ou la Figue, enfin quelque chose en igue. Mais c’était diabolique. Il disait que cette machine dura je ne sais combien de temps, trente ou quarante ans, je crois. Sainte Vierge Marie ! cela ne fait-il pas dresser les cheveux ? C’est bien pire aujourd’hui, puisqu’alors il y avait des rois, des princes, des seigneurs, des parlements, en un mot tout ce qu’il fallait pour faire la besogne après la folie passée ; mais à présent que tout le royaume est en loques, ce sera le diable à confesser pour tout refaire. Serait-il possible que nous fussions mêlés là-dedans ? Libéra nos, Dominus.

« Vous croyez peut-être, vous autres petits messieurs qui avez des habits de drap d’Elbeuf et des boutons d’acier, que c’est pour vous que le four chauffe, et que vous serez toujours les maîtres ? Ah bien ! oui, fiez-vous-y. On a déjà fait main-basse sur les municipalités de campagne, ainsi adieu aux rois de village ! il n’y a plus de districts, ainsi adieu aux rois de petites villes ! ne voyez-vous pas comme tout s’achemine à vous rendre des zéros en chiffre ? Quand tout sera tranquille, le peuple donnera les places à ceux que vous teniez en prison ; et si, pendant cette tempête, quelques champignons sont sortis de terre, vous n’y gagnerez rien, car les ci-après sont bien plus insolents que les ci-devant.

« On vous amuse aussi en vous parlant de la suppression des impôts. Sans doute qu’on n’ose pas mettre le peuple de mauvaise humeur dans ce moment, pour raison ; mais seriez-vous assez simples pour croire