Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t2, nouv. éd.djvu/463

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pur amour ardent qu’il leur porte (bien qu’il en soit dévoré), non par pure curiosité poussée à l’extrême (avis à nous autres, amateurs trop minutieux !), mais dans un but plus sérieux et plus grave, pour suggérer aux doctes dans l’usage et l’administration de leur science un meilleur régime, de meilleures méthodes, une prudence et une sagacité plus éclairées. « Il y a lieu, ajoute-t-il en concluant, de se donner le spectacle des mouvements et des perturbations, des bonnes et des mauvaises veines, dans l’ordre intellectuel comme dans l’ordre civil, et d’en profiter. » – Ainsi s’exprime Bacon en termes formels, et ce n’est que de nos jours, et depuis très-peu d’années, qu’en France une telle histoire est ébauchée à grand’peine !

Nous donc, son disciple aussi, son disciple libre et respectueux, si notre voix avait la moindre valeur en tel sujet, au milieu de voix si hautes et si imposantes, nous lui dirions :

« Consolez-vous, Ombre illustre ! ils avaient voulu faire de vous un chef de leur école, un précurseur d’eux-mêmes, et vous avaient tiré à eux, ajusté à leur taille, et présenté sous un jour étroit, faux et dans lequel, en vous idolâtrant sans cesse, ils vous avaient diminué. D’autres sont venus qui ont défait tout cela, qui vous ont rejeté de leur philosophie, laquelle (je leur en demande bien pardon), pour être plus savante et moins maigre que la précédente, me semble bien artificielle aussi. Consolez-vous encore une fois d’être hors de toutes ces questions d’école, car qui dit école dit une chose officielle, convenue et à demi mensongère, et qui, d’un côté ou d’un autre, croulera. Excommunié par de Maistre qui croyait, peu accueilli par les héritiers de ce Descartes, qui ne doutait de rien, restez, vous, ce que vous étiez, – un libre et hardi investigateur de toute noble étude, un amateur éclairé de toute connaissance et de toute belle pensée, un écrivain éclatant et perçant, dont les mots honorent tous les sentiers où vous avez passé, et avec qui l’on trouve à s’enrichir chaque jour, dans quelque voie que l’on s’engage. Restez vous--