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Parmi les singularités de ce traité sur les Coups d’État, on a remarqué qu’il commence par Mais, comme le Moyen de Parvenir commence par Car. Naudé faisait nargue à la rhétorique dès le premier mot.

Parmi les opinions particulières qui ne font faute, est celle qui range dans les inventions des coups d’État la venue de la Pucelle d’Orléans, « laquelle, ajoute Naudé en passant, ne fut brûlée qu’en effigie. » Il ne daigne pas s’expliquer davantage. Guy Patin va plus loin et nous dit que, loin d’être brûlée, elle se maria et eut des enfants[1]. Naudé se complaisait un peu à ces sortes d’opinions paradoxales, et il admettait très-aisément la mystification du vulgaire en histoire. Il aurait cru volontiers au mariage secret de Bossuet comme il croyait au brûlement postiche de la Pucelle. C’est là un faible dans cet esprit si sain. A force de chercher finesse, on s’abuse aussi.

    lui et Campanella. Il paraît que ce dernier, après sa sortie de Rome et son arrivée en France, s’était licencié sur le compte de Naudé en je ne sais quelles paroles et imputations qui pouvaient avoir de la gravité. La lettre de Naudé à Peiresc, datée de Riète, 30 juin 1636, nous montre plus que nous ne voudrions l’irritation de l’offensé et son jugement secret sur l’homme qu’il avait tant admiré et célébré publiquement. On y a l’envers complet de tout à l’heure. Campanella y est taxé d’ingratitude, de légèreté, de charlatanisme effronté et d’insupportable orgueil ; ce sont les inconvénients de plus d’un grand esprit, et on en a connu de tout temps qui avaient peu à faire pour tomber dans ces défauts-là. Naudé, qui n’avait admiré qu’une seule fois avec cette ferveur, et qui s’en trouvait dupe, jura sans doute qu’on ne l’y reprendrait plus. Il faut toutefois qu’il soit revenu à des sentiments plus favorables à son ancien ami, puisqu’il ne fit imprimer le Panégyrique dont nous avons parlé qu’en 1644, pour prêter hautement secours à la mémoire de Campanella mort beatissimis Thomae Campanellae Manibus, contre de certaines calomnies dont elle venait d’être l’objet. Le Panégyrique imprimé et la lettre manuscrite n’en font pas moins le plus sanglant contraste, et donnent une rude leçon au biographe littéraire qui se lierait avec candeur à ce qu’on imprime. (Voir l’Appendice à la fin du présent volume.)

  1. Voir sur cette version le Mercure galant de novembre 1683.