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édition du Mascurat, la seconde, est un gros in-4o de 718 pages. Le livre fait encore aujourd’hui les délices de bien des érudits friands ; Charles Nodier, dit-on, le relit ou du moins le refeuillette une fois chaque année. M. Bazin, l’historien de la France sous Mazarin, en a beaucoup profité dans son spirituel récit. Naudé, si enfoui par le reste de ses œuvres, garde du moins, par celle-ci, l’honneur d’avoir apporté une pièce indispensable et du meilleur aloi dans un grand procès historique : son nom a désormais une place assurée en tout tableau fidèle de ce temps-là. Je voudrais pouvoir donner idée du Mascurat à des lecteurs gens du monde, et j’en désespère. Dans ce style resté franc gaulois et gorgé de latin, il trouve moyen de tout fourrer, de tout dire ; je ne sais vraiment ce qu’on n’y trouverait pas. Il y a des tirades et enfilades de curiosités et de documents à tout propos, des kyrielles à la Rabelais, où le bibliographe se joue et met les séries de son catalogue en branle, ici sur tous les novateurs et faiseurs d’utopies (pages 92 et 697), là sur les femmes savantes (p. 81) ; plus loin, sur les bibliothèques publiques (p. 242) ; ailleurs, sur tous les imprimeurs savants qui ont honoré la presse (p. 691) ; à un autre endroit, sur toutes les académies d’Italie (p. 139, 147), que sais-je[1] ? Pour qui aurait un traité à

  1. Et encore (page 370) il enfile toutes sortes d’historiettes sur des réponses faites par bévue, et se moque en même temps de la rhétorique ; il y trouve son double compte d’enfileur de rogatons érudits et de moqueur des tours oratoires. – Il ne trouve pas moins son double compte de fureteur historique et de défenseur du Mazarin, lorsqu’il se donne (page 266) le malin plaisir d’énumérer tous les profits et pots-de-vin de l’intègre Sully, lequel « tira trois cens mille livres pour la démission, de sa charge des Finances et de la Bastille ; soixante mille pour celle de la Compagnie de la Reine-Mère ; cinquante mille pour celle de Surintendant des Bâtiments ; deux cens mille pour le Gouvernement de Poitou ; cent cinquante mille pour la charge de Grand-Voyer, et deux cens cinquante mille pour récompense ou plutôt courretage de beaucoup de bénéfices donnés à sa recommandation. » Et le fin Naudé part de là