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que votre ami appuierait particulièrement la main sur ce livre V (qui est devenu l’ouvrage sur l’Église gallicane). Je ferai tous les changements possibles, mais probablement moins qu’il ne voudrait. A l’égard de Bossuet, en particulier, je ne refuserai pas d’affaiblir tout ce qui n’affaiblira pas ma cause. Sur la Défense de la Déclaration, je céderai peu, car, ce livre étant un des plus dangereux qu’on ait publiés dans ce genre, je doute qu’on l’ait encore attaqué aussi vigoureusement que je l’ai fait. Et pourquoi, je vous prie, affaiblir ce plaidoyer ? Je n’ignore pas l’espèce de monarchie qu’on accorde en France à Bossuet, mais c’est une raison de l’attaquer plus fortement. Au reste, monsieur l’abbé, nous verrons. Si M. Deplace est longtemps malade ou convalescent, je relirai moi-même ce Ve livre, et je ne manquerai pas de faire disparaître tout ce qui pourrait choquer. J’excepte de ma rébellion l’article du jansénisme. Il faut ôter aux jansénistes le plaisir de leur donner Bossuet : Quanquam o... ! »

Ces concessions ne se faisaient pas toujours, comme on voit, sans quelques escarmouches. On retrouve dans ces petits débats toute la vivacité et tout le mordant de ce libre esprit ; ainsi dans une lettre à M. Deplace, du 28 septembre 1818 : « Je reprends quelques-unes de vos idées à mesure qu’elles me viennent. Dans une de vos précédentes lettres, vous m’exhortiez à ne pas me gêner sur les opinions, mais à respecter les personnes. Soyez bien persuadé, monsieur, que ceci est une illusion française. Nous en avons tous, et vous m’avez trouvé assez docile en général pour n’être pas scandalisé si je vous dis qu’on n’a rien fait contre les opinions, tant qu’on n’a pas attaqué les personnes[1]. Je ne dis pas cependant que, dans ce genre comme dans un autre, il n’y ait beaucoup de vérité dans le proverbe : À tout seigneur tout honneur, ajoutons seulement sans esclavage. Or il est très-certain que vous avez fait en France une douzaine d’apothéoses au moyen desquelles il n’y a plus moyen de raisonner. En faisant descendre tous ces dieux de leurs piédestaux pour les déclarer simplement grands hommes, on ne leur fait, je crois, aucun tort, et l’on vous rend un grand service… » Et il ajoutait en post-scriptum : « Je laisse subsister tout exprès quelques phrases imperti-

  1. Si c’était une illusion française, de respecter les personnes en attaquant les choses, il faut reconnaître qu’elle s’est bien évanouie depuis peu.