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En regard du trophée poétique que lui dressaient ses amis, il parut une brochure intitulée Observations classiques et littéraires sur les Géorgiques françaises, par un Professeur de belles-lettres (an IX). Il y était dit : « Comment se flatter de ramener l’opinion sur un ouvrage qui, même avant la publicité, était dévoué à l’apothéose ? » On y supputait que, dans un ouvrage de 2,642 vers, il se trouvait :

643
répétitions
558
antithèses
498
vers symétriques
294
vers surchargés
164
vers léonins
Total :
2157


En tête du volume se voyait une caricature d’après le dessin d’un élève de David. Le poète, en costume d’abbé, tournait le dos à la Nature et dirigeait ses pas et sa lorgnette vers le Temple du mauvais Goût. Des farfadets lui présentaient des hochets et des guirlandes. Sa chatte Raton était à ses pieds ; il se couvrait la tête d’un parasol, et on lisait au-dessous ces deux vers de l’Homme des Champs:

Majestueux été, pardonne à mon silence !
J’admire ton éclat, mais crains ta violence.

M. Emile Deschamps, dans sa spirituelle préface des Études françaises et étrangères, et nous tous, railleurs posthumes de Delille, nous sommes venus tard, et n’avons, même là-dessus, rien inventé.

Il ne rentra en France que deux ans après, en 1802, pendant l’impression du poème de la Pitié. L’apparition de ce livre fut un événement politique[1]. Absent et plus hardi de

  1. Les circonstances sociales s’en mêlèrent et y mirent le sens. D’ailleurs, à la politique proprement dite, est-il besoin de le dire ? Delille n’y avait jamais rien entendu. Un jour (à Londres, je crois),