Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/107

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et se communique insensiblement parmi les personnes qui l’ont bien fait. Il ne faut point douter que l’on en puisse acquérir lorsqu’un habile homme s’en mêle. »

« Ceux qui ont le cœur droit ont le sens de même, pour peu qu’ils en aient ; et prenez garde que de certaines gens qui ont tant de plis et de replis dans le cœur n’ont jamais l’esprit juste : il y a toujours quelque faux jour qui leur donne de fausses vues. »

« On ne saurait avoir le goût trop délicat pour remarquer les vrais et les faux agréments, et pour ne s’y pas tromper. Ce que j’entends par là, ce n’est pas être dégoûté comme un malade, mais juger bien de tout ce qui se présente, par je ne sais quel sentiment qui va plus vite, et quelquefois plus droit que les réflexions. »

« Il faut, si l’on m’en croit, aller partout où mène le génie, sans autre division ni distinction que celle du bon sens. »

« Celui qui croit que le personnage qu’il joue lui sied mal ne le saurait bien jouer, et qui se défie d’avoir de la grâce ne l’a jamais bonne. »

« Pour bien faire une chose, il ne suffit pas de la savoir, il faut s’y plaire, et ne s’en pas ennuyer. »

« Ce qui languit ne réjouit pas, et quand on n’est touché de rien, quoiqu’on ne soit pas mort, on fait toujours semblant de l’être. »

« La plupart des gens avancés en âge aiment bien à dire qu’ils ne sont plus bons à rien, pour insinuer que leur jeunesse étoit quelque chose de rare. »

Cet honnête homme que le chevalier veut former, et qui est comme un idéal qui le fuit (car l’ordre de société que ce soin suppose se dérobait dès lors à chaque instant), lui fournit pourtant une inépuisable matière à des observations nobles, déliées, neuves, parfois singulières et philosophiques aussi. Comme, selon lui, le propre de l’honnête homme est de n’avoir point de métier ni de profession, il pensait que la cour de France était surtout un théâtre favorable à le produire : « car elle est la plus grande et la plus belle qui nous soit connue, disait-il, et elle se montre sou-

    Beaumelle, ce chroniqueur si peu sûr, a romancé selon son usage le chapitre où figure le chevalier ; il est temps qu’un noble et grave historien, M. le duc de Noailles, vienne remettre l’ordre et la justesse dans les choses de sa maison.