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premier éclat de leurs amours l’ode de J.-B. Rousseau imitée d’Horace :

Quel charme, beauté dangereuse,
Assoupit ton nouveau Pâris ?
Dans quelle oisiveté honteuse
De tes yeux la douceur flatteuse
A-t-elle plongé ses esprits ?

La fin de l’ode semblait menacer l’amant crédule de quelque prochaine inconstance de la perfide :

Insensé qui sur tes promesses
Croit pouvoir fonder son appui,
Sans songer que mêmes tendresses,
Mêmes serments, mêmes caresses,
Trompèrent un autre avant lui !

Mais il ne paraît pas que le pronostic ait eu son effet : Mme de Ferriol comprit vite que son crédit dans le monde et sa considération étaient attachés à cette liaison avec le maréchal-ministre, et elle s’y tint. On voit, dans les lettres nombreuses que lord Bolingbroke adresse à Mme de Ferriol[1], qu’il n’en est aucune où il ne lui parle du maréchal comme du grand intérêt de sa vie. Il résulte du témoignage de mademoiselle Aïssé qu’il y avait dans cet état plus de montre que de fond, et que le crédit de la dame baissa fort avec l’éclat de ses yeux[2]. Tant qu’elle fut jeune pourtant, Mme de Ferriol parut fort recherchée, et elle eut rang parmi

  1. Lettres historiques, politiques, philosophiques et littéraires de lord Bolingbroke ; 3 vol. in-8o, 1808. Ces lettres sont une source des plus essentielles pour l’histoire d’Aïssé.
  2. « Tout le monde est excédé de ses incertitudes (il s’agissait d’un voyage à faire à Pont-de-Veyle en Bourgogne) ; le vrai de ses difficultés, c’est qu’elle ne voudrait point quitter le maréchal, qui ne s’en soucie point et ne ferait pas un pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considération dans le monde. Personne ne s’adresse à elle pour demander des grâces au vieux maréchal… » (Lettre XI.)