Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/148

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que je mène, et dont vous avez la bonté, écrit-elle à son amie[1], de me demander des détails, je vous dirai que la maîtresse de cette maison est bien plus difficile à vivre que le pauvre ambassadeur. » Parlerait-elle sur ce ton de quelqu’un qui lui rappellerait décidément une faute odieuse, avilissante ? Pourquoi ne pas admettre que ce pauvre ambassadeur, déjà vieux et vaincu du temps, comme dit le poëte, finit par se décourager et par devenir bon homme ?

Et en effet, jusqu’à la publication du fragment malencontreux, on avait cru dans la société que si M. de Ferriol avait eu à un moment quelque dessein sur elle, Mlle Aïssé avait dû à la protection des fils de Mme de Ferriol, et particulièrement à celle de d’Argental, de s’être soustraite aux persécutions de l’oncle. C’était le sentiment des premiers éditeurs, héritiers des traditions et des souvenirs de la famille Calandrini ; personne alors ne le contesta[2]. L’Année littéraire, parlant d’Aïssé au sujet de cette publication, disait : « Elle se fit aimer de tout le monde ; malheureusement tout autour d’elle respirait la volupté. Cette éducation dangereuse ne la séduisit cependant pas au point de la faire céder aux vues de M. de Ferriol, qui, peu généreux, exigeait d’elle trop de reconnaissance, et d’un grand prince qui voulait en faire sa maîtresse ; mais elle la disposa à la tendresse, et le chevalier d’Aydie en profita[3]. » Le récit de M. Craufurd[4] rentre tout à fait dans cette opinion

  1. Lettre XIV.
  2. On trouve dans le Journal de Paris, du 28 novembre 1787, une lettre signée Villars qui reproche à l’éditeur d’avoir mêlé à sa publication des anecdotes défavorables à la famille Ferriol ; le témoignage de M. d’Argental, encore vivant, y est invoqué. Celle lettre, écrite dans un intérêt de famille, prouve une seule chose, c’est qu’on était loin de croire alors et qu’on n’avait jamais admis jusque-là qu’Aïssé eût été sacrifiée à l’ambassadeur. – Voir ci-après la note [G].
  3. Année littéraire, 1788. tome VI, page 209.
  4. Essais de Littérature française, tome Ier, page 188 (3e édition).