Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvent de Notre-Dame à Sens, sous le nom de miss Black[1] et à titre de nièce de lord Bolingbroke. L’abbesse de ce couvent était une fille même de Mme de Villette, née du premier mariage. Tout cela, on le voit concorde et s’explique à merveille ; on a le cadre et le canevas du roman ; mais c’est de la physionomie des personnages et de la nature des sentiments qu’il tire son véritable et durable intérêt.

Le chevalier d’Aydie, dans sa jeunesse, offrait plus d’un de ces traits qui s’adaptent d’eux-mêmes à un héros de roman ; Voltaire, écrivant à Thieriot et lui parlant de sa tragédie d’Adélaïde du Guesclin à laquelle il travaillait alors, disait (24 février 1733) : « C’est un sujet tout français et tout de mon invention, où j’ai fourré le plus que j’ai pu d’amour, de jalousie, de fureur, de bienséance, de probité et de grandeur d’âme. J’ai imaginé un sire de Couci, qui est un très-digne homme, comme on n’en voit guère à la Cour ; un très-loyal chevalier, comme qui dirait le chevalier d’Aydie, ou le chevalier de Froulay. » Il avait dans le moment à se louer des bons offices de tous deux près du garde des sceaux ; il y revient dans une lettre du 13 janvier 1736, à Thieriot encore : « Si vous revoyez les deux chevaliers sans peur et sans reproche, joignez, je vous en prie, votre reconnaissance à la mienne. Je leur ai écrit ; mais il me semble que je ne leur ai pas dit assez avec quelle sensibilité je suis touché de leurs bontés, et combien je suis orgueilleux d’avoir pour mes protecteurs les deux plus vertueux hommes du royaume. » – La Correspondance de Mme du Deffand[2] nous donne également à connaître le chevalier par le dehors et tel qu’il était aux yeux du monde et dans l’habitude de l’amitié. Plusieurs lettres de lui nous le font voir après la jeunesse et bonnement retiré en famille dans

  1. Ce nom de fantaisie, miss Black, semble avoir été donné pour faire contraste et contre-vérité à celui de Célénie Leblond.
  2. Les deux volumes in-8o publiés en 1809.