Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/175

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fleurissent, et tantôt finissent[1]. » Tenons-nous à ce qui ne meurt pas.

Il en est des amants comme des poëtes, ils ont surtout une famille, tous ceux qui, venus après eux, les sentent, tous ceux qui, ne les jugeant qu’à leurs flammes, les envient. Le jeune homme à qui ses passions font trêve et donnent le goût de s’éprendre des douces histoires d’autrefois, la jeune femme dont ces fantômes adorés caressent les rêves, le sage dont ils reviennent charmer ou troubler les regrets, le studieux peut-être et le curieux que sa sensibilité aussi dirige, eux tous, sans oublier l’éditeur modeste, attentif à recueillir les vestiges et à réparer les moindres débris, voilà encore le cortège le plus véritable, voilà la postérité la plus assurée et non certes la moins légitime des poétiques amants. Elle n’a point manqué jusqu’ici à l’ombre aimable d’Aïssé, et chaque jour elle se perpétue en silence. Son petit volume est un de ceux qui ont leurs fidèles et qu’on relit de temps en temps, même avant de l’avoir oublié. C’est une de ces lectures que volontiers on conseille et l’on procure aux personnes qu’on aime, à tout ce qui est digne d’apprécier ce touchant mélange d’abandon et de pureté dans la tendresse, et de sentir le besoin d’une règle jusqu’au sein du bonheur.


  1. Iliade, liv. VI, 146. Ces admirables paroles d’Homère devraient s’inscrire comme devise en tête de toutes les généalogies.