Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/267

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d’oublier combien elle favorisait l’aridité de ce jeune cœur en se faisant la confidente de son libertinage d’esprit.

On n’attend pas des preuves, on a déjà des échantillons. Nous avons hâte d’arriver à la politique, qui va devenir sa distraction, son recours, et à laquelle il essaiera de se prendre pour s’étourdir. Comme explication nécessaire toutefois, comme image complète de sa situation malheureuse en ces années de Brunswick, il faut savoir que ce premier mariage qu’il venait de contracter si à la légère tourna le plus fâcheusement du monde ; que, dès juillet 1791, il en était à reconnaître son erreur ; qu’il résumait son sort en deux mots : l’indifférence, fille du mariage, la dépendance, fille de la pauvreté ; que l’indifférence bientôt fit place à la haine ; qu’après une année de supplice, il prit le parti de tout secouer : « On se fait un mérite de soutenir une situation qui ne convient pas ; on dirait que les hommes sont des danseurs de corde. » Le divorce était dans les lois, il y recourut ; ce n’avait été qu’à la dernière extrémité : « Si elle eût daigné alléger le joug, écrivait-il, je l’aurais traîné encore ; mais jamais que du mépris !… Ah ! ce n’est pas l’esprit qui est une arme, c’est le caractère. J’avais bien plus d’esprit qu’elle, et elle me foulait aux pieds. » Le procès qui devait amener le divorce traîna en longueur. Le 25 mars 1793, dans son impatience d’en finir, il s’écriait : « Hymen ! Hymen ! Hymen ! quel monstre ! » Le 31 mars, six jours après, en apprenant la décision, il écrivait : « Ils sont rompus, tous mes liens, ceux qui faisaient mon malheur comme ceux qui faisaient ma consolation, tous, tous ! Quelle étrange faiblesse ! Depuis plus d’un an je désirais ce moment, je soupirais après l’indépendance complète ; elle est venue et je frissonne ! je suis comme atterré de la solitude qui m’entoure ; je suis effrayé de ne tenir à rien, moi qui ai tant gémi de tenir à quelque chose… » Ainsi allait ce triste cœur mobile, ainsi va le pauvre cœur humain.

Il était temps, on le voit, que la politique vînt jeter quel-