Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/333

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promise et comme une conquête. On peut dire que sa formation complète et définitive date de ce moment, et qu’en posant le livre, tout l’homme en lui se sentit achevé.

Nous avons affaire à un esprit de nature très-complexe, et dans laquelle est entré déjà plus d’un élément. Une leçon métaphysique de M. Fercoc l’a ému, comme elle eût pu faire pour un Malebranche naissant ; une chanson l’a fait tressaillir, comme s’il était une de ces choses légères et sacrées dont parle Platon, et voilà que l’intelligence politique le saisit comme un futur émule des Fox et des Russell. Nous ne prétendons pas compter dans cette riche et fine organisation toutes les impressions et les influences ; mais nous tenons évidemment les principales, celles qui, en se croisant, ont formé la trame subtile, très imbris torti radios

Toutes les idées et les vues que lui suggéra la lecture du livre de Mme  de Staël, il les écrivit pour lui seul d’abord ; mais, un jour, dans l’été de 1818, se trouvant à la campagne[1], il remit le morceau à M. de Barante, qui le questionnait sur ses études. M. de Barante en fut très-frappé, et dit qu’il le voulait garder pour le donner comme article à M. Guizot, qui dirigeait alors les Archives. Peu après[2], l’article parut en effet sous ce titre : De l’influence du dernier ouvrage de madame de Staël sur la jeune opinion publique ; il était précédé de quelques lignes dues à la plume de M. Guizot :

« Nous avons rendu compte, disait-on, du dernier ouvrage de Mme  de Staël ; nous n’avons pas hésité à affirmer qu’il exercerait une

  1. Au château du Marais, chez Mme  de La Briche, belle-sœur de la célèbre Mme  d’Houdetot et belle-mère de M. le comte Molé. C’est au Marais aussi que, l’année précédente, il avait lu, pour la première fois, quelque chose de lui, le morceau sur la jeunesse, qui commence les Mélanges. Sur cette société d’un goût délicat, il n’avait pas craint de faire le premier essai d’une production de son esprit ; mais, pour le morceau politique sur Mme  de Staël, il ne s’ouvrit qu’à M. de Barante.
  2. Archives philosophiques, politiques et littéraires, tome V, 1818.