Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/405

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qualités de M. de Vigny, son élévation naturelle d’essor, son élégance inévitable d’expression, ce culte de l’art qu’il porte en chacune de ses conceptions, qu’il garde jusque dans les moindres détails de ses pensées, et qui ne lui permet, pour ainsi dire, de se détacher d’aucune avant de l’avoir revêtue de ses plus beaux voiles et d’avoir arrangé au voile chaque pli. Dès le début de son discours, il a tracé dans une double peinture, pleine de magnificence, le caractère des deux familles, et comme des deux races, dans lesquelles il range et auxquelles il ramène l’infinie variété des esprits : la première, celle de tous les penseurs, contemplateurs ou songeurs solitaires, de tous les amants et chercheurs de l’idéal, philosophes ou poëtes ; la seconde, celle des hommes d’action, des hommes positifs et pratiques, soit politiques, soit littéraires, des esprits critiques et applicables, de ceux qui visent à l’influence et à l’empire du moment, et qu’il embrasse sous le titre général d’improvisateurs. Cette dernière classe m’a paru fort élargie, je l’avoue, et dans des limites prodigieusement flottantes, puisqu’elle comprendrait, selon l’auteur, tant d’espèces diverses, depuis le grand politique jusqu’au journaliste spirituel, depuis le cardinal de Richelieu jusqu’à M. Étienne ; mais certainement, lorsqu’il retraçait les caractères de la première famille, et à mesure qu’il en dépeignait à nos regards le type accompli, on sentait combien M. de Vigny parlait de choses à lui familières et présentes, combien, plus que jamais, il tenait par essence et par choix à ce noble genre, et à quel point, si j’ose ainsi parler, l’auteur d’Éloa était de la maison quand il révélait les beautés du sanctuaire.

M. Étienne, lui, n’était pas du tout du sanctuaire, et une illusion de son ingénieux panégyriste a été, à un certain moment, d’essayer de l’y rattacher, ou, lors même qu’il le rangeait définitivement dans la seconde classe, d’employer à le peindre des couleurs encore empruntées à la sphère idéale et qui ressemblent trop à des rayons. Pindare, ayant