Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/423

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aimait à draper ses figures et dont lui-même on l’a vu marcher enveloppé. Tout cela reste juste, et pourtant dans la vie réelle, dans l’exacte ressemblance, les choses ne se passent jamais tout à fait ainsi : M. Soumet avait ses contrastes, et il serait intéressant de les noter. M. de Rességuier a dit de lui dans une épître :
Et c’est peu qu’ils soient beaux les vers, ils sont charmants.
Cela était plus vrai de l’homme même, aimable, imprévu, d’un sourire fin, parfois d’une malice gracieuse et qui n’altérait en rien l’exquise courtoisie ni la parfaite bienveillance. Il y aurait encore d’autres traits frappants, singuliers, où revivrait la personne du poëte : j’ai regret de n’y pouvoir insister. Martial a dit dans une excellente épigramme, en s’adressant au lecteur épris des belles tragédies et des poëmes épiques de son temps : « Tu lis les aventures d’œdipe, et Thyeste couvert de soudaines ténèbres, et les prodiges des Médées et des Scyllas ; laisse-moi là ces monstres… Viens-t’en lire quelque chose dont la vie humaine puisse dire : Cela est à moi. Tu ne trouveras ici ni Centaures, ni Gorgones, ni Harpies : nos pages à nous sentent l’homme :

Qui logis œdipodem caligantemque Thyesten,…
Hoc lege quod possit dicere vita : Meum est.
Non hic Centauros, non Gorgonas Harpyiasque
Invenies ; hominem pagina nostra sapit. »

Dans l’intérêt même des poëtes généreux et déçus qui, en des âges tardifs, ont visé à recommencer ces grandes gloires, une fois trouvées, des Sophocle et des Homère, dans l’intérêt de ceux qui étaient comme Ponticus du temps de Properce, ou comme M. Soumet du nôtre, je voudrais du moins qu’on pût les peindre au naturel tels qu’ils furent, et que cette réalité qu’on chercherait vainement dans leurs œuvres majestueuses se retrouvât dans l’expression entière de leur physionomie, car la physionomie humaine a toujours de la