Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t3, nouv. éd.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recommencer toujours. Il y a même des moments où j’ai tant de respect pour la philosophie, que je crois qu’elle n’existe véritablement que chez celui qui la trouve, et qu’elle ne saurait ni se transmettre ni s’enseigner. Quoi qu’il en soit, la doctrine du xviiie siècle en était à ce moment extrême et définitif où l’on se croit le plus sûr de soi et où l’on est le plus près d’être frappé. Dans l’enseignement public, elle n’était guère de nature à être ouvertement et franchement professée. Un homme d’esprit, aimable, disert, légèrement sceptique, s’était avisé d’un compromis heureux qui, sans satisfaire les idéologues sévères, n’était pas fait non plus pour les alarmer. M. La Romiguières avait trouvé un biais élégant et juste qui parait aux difficultés et pourvoyait aux convenances. C’était un système honorable, spécieux, surtout bien rédigé, et l’on aime tant les bonnes rédactions en France ! Ceux qui croyaient qu’il faut aux jeunes gens une philosophie quelconque comme une rhétorique, n’avaient rien de mieux à demander et devaient être contents. Mais l’esprit humain ne se comporte pas ainsi ; il est impatient et même un peu séditieux de sa nature, il ne sait pas se tenir tranquille au gré des régnants. M. Royer-Collard le premier s’insurgea ; ce ne fut pourtant pas une attaque de front. En 1811, cet esprit original, appelé à professer au sein de la Faculté des Lettres, prit position sur une question très-particulière à l’école écossaise, et il en tira parti pour renouveler l’observation psychologique. Son enseignement circonscrit, profond et analytique, forma des maîtres ; mais à M. Cousin il était réservé d’enflammer à la fois et les jeunes maîtres et le jeune public. En montant en 1815 dans la chaire de M. Royer-Collard, M. Cousin mit d’abord le pied dans la trace exacte de son respectable devancier ; il se rattacha comme lui à Reid, mais il n’était pas homme à s’y tenir. L’esprit de M. Cousin, en effet, est aussi empressé par nature à s’étendre, que celui de M. Royer-Collard était appliqué à se restreindre ; ce dernier mit toujours une bonne