Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/161

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dant son tribunat, de travailler de tous ses efforts pour les nobles ; et dans le commencement il ne voulut rien faire qu’eux-mêmes ne lui eussent conseillé. Mais ces factieux qui préféraient la fourberie et la méchanceté à la bonne foi, dès qu’ils s’aperçurent qu’un particulier isolé allait départir à un grand nombre d’hommes le plus précieux des biens, chacun d’eux, avec la conscience de ce qu’il était, c’est-à-dire méchant et sans foi, jugea M. Livius Drusus d’après lui-même. En conséquence, dans la crainte que, par un bienfait si important, il ne s’emparât seul des affaires, ils réunirent contre lui leurs efforts, et firent échouer ses projets qui étaient les leurs. C’est donc pour toi, général, un motif de redoubler de soins et de ménagements pour t’assurer des amis et de nombreux soutiens.

VII. Terrasser un ennemi déclaré n’est pas chose difficile à un homme de cœur, mais les gens de bien savent aussi peu tendre des pièges que s’en défendre. Lors donc que par cette incorporation de citoyens, le peuple aura été régénéré, applique tous tes soins à entretenir les bonnes mœurs et à consolider l’union entre les anciens citoyens et les nouveaux. Mais, certes, le plus grand bien que tu puisses procurer à la patrie, aux citoyens, à toi même, à nos enfants, en un mot, à tout le genre humain, ce sera de détruire, ou au moins d’affaiblir autant que possible l’amour de l’argent ; autrement, il n’y a pas moyen de gouverner ni les affaires privées, ni les affaires publiques, ni le dedans, ni le dehors. Car, la où la passion des richesses a pénétré, la discipline et les mœurs disparaissent ; l’esprit perd sa vigueur ; l’âme elle-même, un peu plus tôt, un peu plus tard, finit par succomber.

J’ai souvent entendu citer des rois, des villes, des nations, qui par suite de l’excès de richesses avaient perdu de grands empires, que, pauvres, ils avaient acquis par leur courage. Cela n’a rien qui m’étonne ; car, dès que l’homme de bien voit le méchant, à cause de ses richesses, puis honoré que lui et mieux reçu, d’abord il s’indigne et son cœur se révolte ; mais, si la vanité l’emporte chaque jour davantage sur l’honneur, et l’opulence sur la vertu, il abandonne la justice pour la volupté. La gloire en effet nourrit l’émulation : si vous la retranchez, la vertu toute seule est par elle-même âpre et amère. Enfin, là où les richesses sont en honneur, on compte pour rien tous les biens véritables, la bonne foi, la probité, la pudeur, la chasteté ; car, pour la vertu, il n’est qu’un chemin, et bien rude ; mais pour la fortune il en est mille ; on y arrive également par des voies bonnes ou mauvaises.

Commence donc par renverser le pouvoir de l’argent. Que ce ne soit plus la richesse qui donne le droit de décider de la vie et de l’honneur des citoyens ; comme aussi que la préture, le consulat, soient accordés, non d’après l’opulence, mais d’après le mérite. On peut s’en lier au peuple pour bien choisir ses magistrats. Laisser les juges à la nomination du petit nombre, c’est du despotisme ; les élire pour leur fortune, c’est de l’iniquité. Aussi suis-je d’avis que tous les citoyens de la première classe, mais en plus grand nombre qu’aujourd’hui, soient appelés aux fonctions de juge. Ni les Rhodiens, ni bien d’autres cités n’ont