Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/166

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de l’art, les biens conquis par la vertu doivent être conservés avec le plus grand soin : si on les néglige, ils se dégradent, s’affaiblissent et s’écroulent. Personne, en effet, ne cède de plein gré le pouvoir à un autre ; et, quelles que soient la bonté, la clémence de celui qui commande, par cela seul qu’il ne tient qu’à lui d’être méchant, on le redoute. Cela vient de ce que la plupart des hommes puissants se conduisent d’après un mauvais principe : ils se croient d’autant plus en sûreté que leurs subordonnés sont plus corrompus.

Tu agiras tout différemment. Sage et vaillant comme tu es, tu feras en sorte de n’avoir à commander qu’à de véritables gens de bien ; car les hommes les plus vicieux sont toujours les plus indociles.

Mais il t’est plus difficile qu’a aucun de ceux qui t’ont précédé de régler l’usage que tu feras de la victoire. La guerre avec toi a été plus humaine que la paix avec les autres ; et cependant les soldats victorieux demandent leur récompense, et les vaincus sont des citoyens. Il te faut glisser entre ces deux écueils, et assurer le repos futur de la république, non pas seulement par les armes et contre l’ennemi, mais, ce qui est bien plus important et bien plus difficile, par les sages institutions de la paix.

Il semble donc que notre situation invite tout homme plus ou moins habile à proposer l’avis qu’il croit le meilleur. Quant à moi, je pense que de la manière dont tu useras de la victoire dépend tout notre avenir.

II. A présent, pour te rendre cette tâche plus sûre et plus facile, je vais en peu de mots t’exposer ma pensée. Tu as eu, César, à soutenir la guerre contre un homme illustre, puissant, ambitieux, plus heureux que sage. Parmi ceux qui le suivirent, quelques-uns se declarèrent contre toi parce qu’ils t’avaient offensé ; d’autres furent entraînés par les liens du sang ou de l’amitié. Car il n’admit personne au partage de la puissance, et, s’il eût pu y consentir, le monde n’aurait pas été ébranlé par la guerre(16). Le reste de la multitude, par imitation plutôt que par choix, a suivi à la file, chacun s’en remettant à celui qui marchait devant et qu’il croyait plus sage.

Dans le même temps, sur la foi de tes calomniateurs, des hommes tout souillés d’opprobre et de débauches, espérant que tu leur allais livrer la république, accoururent en foule dans ton camp, et menacèrent ouvertement les citoyens paisibles de la mort, du pillage, enfin de tout le mal qui peut venir à l’idée d’hommes corrompus. Une grande partie d’entre eux voyant que, contre leur attente, tu n’abolissais point les dettes et que tu ne traitais pas les citoyens en ennemis, se retirèrent ; il n’en resta qu’un petit nombre qui trouvèrent plus de repos dans ton camp que dans Rome où ils étaient sans cesse assiégés par leurs créanciers. Mais c’est une chose qui fait frémir que de dire combien de citoyens, et des plus considérables, passèrent ensuite, par les mêmes motifs, dans le camp de Pompée, lequel, pendant toute la guerre, fut comme l’asile sacré et inviolable de tous les débiteurs.

III. Maintenant donc que la victoire te rend l’arbitre de la guerre et de la paix, si tu veux,