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GUERRE DES GAULES. — NOTES.

les modernes tirent leur principal avantage de la position qu’ils occupent ; s’ils dominent, s’ils enfilent, s’ils prolongent l’armée ennemie, elles font d’aulant plus d’effet. Une armée moderne doit donc éviter d’être débordée, enveloppée, cernée ; elle doit occuper un camp ayant un front aussi étendu que sa ligne de bataille elle-même ; que si elle occupait une surface carrée et un front insuffisant a son déploiement, elle serait cernée par une armée de force égale, et exposée à tout le feu de ses machines de jet, qui convergeraient sur elle et atteindraient sur tous les points du camp, sans qu’elle pût répondre à un feu si redoutable qu’avec une petite partie du sien. Dans cette position elle serait insultée, malgré ses retranchements, par une armée égale en force, même par une année inférieure. Le camp moderne ne peut être défendu que par l’armée elle même, et, en l’absence de celle-ci, il ne saurait être gardé par un simple détachement.

L’armée de Milliade à Marathon, ni celle d’Alexandre à Arbelles, ni celle de César à Pharsale, ne pourraient iiiainlenir leur cliamp de bataille contre une armée moderne d’égale force ; celle-ci ayant un ordre de bataille étendu, déborderait les deux ailes de l’armée grecque ou romaine ; ses fusiliers porteraient à la lois la mort sur son front et sur les deux llaucs : car les armés à la légère, sentant linsuffisance de leurs Uèchesetde leurs frondes, abaudonneraiiut la partie pour se réfugier derrière les pesannnent armi s, qui alors, l’épée ou la pique à la main, s’avanceraient au pas de charge pour se prendre corps à corps avec les fusiliers ; mais, arrivés à cent vingt toises, ils seraient accueillis par trois cotés par un feu de ligne qui por.erait le désordre et affaiblirait tellement c(s braves et intrépides légionuaires, qu ils ne soutiendraient pas la charge de (jnelques balaillor s en colonne serrée, qui marcheraient alors " eux la baïcmnette au bout du fusil. Si, sur le champ de bataille, il se trouve un bois, une montagne, comment la 1 gion ou la phalaugo pourra— t-clle résisler à cette nuée de fusilieis qui y seront placés ? Dans les p ! aines rases même, il y a des villag. s, des maisons, des fermes, des cimetières, des murs, des fossés, des haies ; et, s’il n’y en a pas, il ne faudra pas un grand effort de génie pour créer des obstacles et arrêter la légion ou la phalange sous le feu meurtrier, qui ne tarde point à la détruire. On n’a point fait mention de soixante ou quatre vingts bouches à feu qui composent l’artillerie de l’armée moderne, qui prolongeront les légions ou phalanges de la droite a la gauche, de la gauche à la droite ; du front à la queue, vomiront la mort à cinq cents toises de dislance Les so’dals d’Alexandre, de César, les héros de la liberté d Athiues et de Rome fuiront en désordre, abandonnant leur champ de bataille.i ces demi-dieux armés de la foudre de Jupiter. Si les Komains furent presque constamment battus par les Partbes, c’est que les Parthes étaient tous ami s d’une arme de jet, supérieure à celle des armés a la légère de 1 armée romaine ; de sorte que les boucliers des légions ne la pouvaient parer. Les légionnaires, armés de leur courle épéc, succombaient sous une grêle de trails, à laquelle ils ne p uvaient rien opposer, puisqu’ils n’étaient aimés que de javelots ( ou ;)i/iim). Aussi, depuis ces expériences funestes, les Romains donnèrent cinq javelots (ou hasta), trails de trois pii ils de lony, i— chaque légionnaire, qui les plaçait dans le creux de ion bouclier.

Une armée consulaire renfermée dans son camp, attaquée par une armée moderne d’égale force. en serait chassée sans assaut et sans en venir à l’arme blan’h » —, il ne serait pas nécessaire de co ; iiblei— s s fossé », descA’adcr ses remparts : environnée de tous eolés par l’armée assaillante, prolongée, encliippée. enfilée par les feux, le camp serait l’egout de lous les coups, de tontes le » balles, de lous les boulels : lincendie, la dévastation cl la mort ouvriraient les portes el léraiciit tomber les l’etriinchemeuls. Une armée moderne, placée dans un cam|> romain, pourrait d’abord, sans doute, faire jouer touln son artillerie ; mais, quoique égale à lartillere de l’assiégeant, elle serait prise eu rouage et promptemeul ri’duite au silence ; une pai tie seu’e de l’infanterie ponri— lii se servir de ses fusils : mais elle tirerait sur une ligne moins étendue, et serait bien loin de produire un effet é(|uivalent au mal qu’elle recevrait. Le feu du centre A ! a circtinférence est nul ; celui de la circonférence au centre est irrés stible.

Une armée moderne, de force égale à une armée consulaire, aurait vingt-six bataillons dé huit cent quarante hommes, formant vingt-deux mille huit cent quarante hommes d’infanterie ; quarante-deux escadrons de cavalerie, formant cinq mille quarante hommes ; quatre-vingt-dix pièces d’artillerie, servies par deux mille cinq cents hommes. L’ordre de bataille moderne étant plus étendu, exige une plus grande partie de cavalerie pour appuyer les ailes, éclairer le front. Cette armée en bataille, rangée sur trois lignes, dont la première serait égale aux deux autres réunies, occuperait un front de quinze cents toises, sur cinq cents toises de profondeur ; le camp aurait un pourtour de quatre mille cinq cents toises, c’est-à-dire triple de l’armée consulaire ; elle n’aurait que sept hommes par toise d’enceinte : mais elle aurait vingt-cinq toises carrées par homme : l’armée tout entière serait nécessaire pour le gardien. Une étendue aussi considérable se trouvera difficilement sans qu’elle soit déterminée à portée de canon par une hauteur : la réunion de la plus grande partie de l’artillerie de l’armée assiégeante sur ce point d’attaque détruirait promptement les ouvrages de campagne qui forment le camp. Toutes ces considérations ont décide les généraux modernes à renoncer au système des camps retranchés, pour y suppléer par celui des positions naturelles bien choisies.

Un camp romain était placé indépendamment des localités : toutes étaient bonnes pour des armées dont toute la force consistait dans les armes blanches ; il ne fallait ni coup d’œil ni génie militaire pour bien camper ; au lieu que le choix des positions, la manière de les occuper et de déplacer les différentes armes, en profitant des circonstances du terrain, est un art qui fait une partie du génie du capitaine moderne.

La tactique des armées modernes est fondée sur deux principes : 1° qu’elles doivent occuper un front qui leur permette de mettre en action avec avantage toutes les armes de jet ; 2° qu’elles doivent préférer, avant tout, l’avantage d’occuper des positions qui dominent, prolongent, enfilent les lignes ennemis, à l’avantage d’être couvert par un fossé, un parapet ou tonte autre pièce de la fortification de campagne.

La nature des armes décide de la composition des armées, des places de campagne, des marches, des positions, du campement, des ordres de bataille, du tracé et des profils des places fortes ; ce qui met une opposition constante entre le système de guerre des anciens et celui des modernes. Les armes anciennes voulaient l’ordre profond ; les modernes l’ordre mince ; les unes, des places fortes saillantes ayant des tours et des murailles élevées ;