Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/453

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bas peuple est obligé de s’en contenter, parce que dans toute la ville il n’y a pas une fontaine. Or, le fleuve traversait justement la partie de la ville qu’occupaient les Alexandrins. Cette circonstance donna lieu à Ganymède de songer qu’il pourrait ôter l’eau à nos gens, qui, distribués de côté et d’autre pour la défense des ouvrages, allaient dans les maisons particulières puiser l’eau des puits et des citernes.

VI. Ce projet adopté, il entreprend un travail grand et difficile. En effet, il nous coupa d’abord toute communication avec les canaux de la partie de la ville qu’il occupait ; ensuite, à force de roues et de machines, il éleva l’eau de la mer et la fit couler des quartiers supérieurs dans celui de César. Aussi, bientôt, l’eau qu’on allait puiser aux citernes voisines parut-elle plus salée que de coutume, et nos soldats étaient tout surpris, ne sachant d’où cela pouvait provenir. Il avaient peine à en croire leur goût, quand ceux de leurs camarades, qui étaient postés plus bas, disaient que leur eau était toujours de même espèce et de même saveur qu’à l’ordinaire ; ils les comparaient l’une avec l’autre, et en les dégustant, ils reconnaissaient combien elles étaient différentes. Mais au bout de quelques jours, l’eau du quartier le plus élevé ne pouvait plus se boire d’aucune façon, et celle de la partie inférieure commençait à se corrompre et à devenir salée.

VII. Dès lors il n’y eut plus de doute : la frayeur fut si grande que tous se regardèrent comme réduits à la dernière extrémité. Les uns murmuraient de ce que César tardait à se rembarquer ; les autres craignaient un malheur encore plus grand, parce que, si près des Alexandrins, on ne pourrait ni leur cacher les préparatifs de la fuite, ni même atteindre les vaisseaux, s’ils voulaient s’y opposer et nous poursuivre. Il y avait d’ailleurs, dans le quartier que César occupait, un grand nombre d’habitants qu’il n’avait pas fait sortir de leurs maisons, parce qu’ils feignaient de nous être fidèles et d’avoir quitté le parti de leurs concitoyens. Or, défendre ici les Alexandrins, essayer de prouver qu’ils ne sont ni fourbes ni trompeurs, ce serait entreprendre une tâche aussi longue qu’inutile ; car, quiconque a une fois pratiqué cette nation, connaît son caractère, et l’on ne peut douter que ce ne soit l’espèce d’hommes la plus portée à la trahison.

VIII. César relevait le courage des soldats par ses consolations et par ses conseils. Il leur disait « qu’en creusant des puits on pourrait trouver de l’eau douce ; car la nature avait mis des veines d’eau douce au sein de tous les rivages ; que si le littoral d’Égypte était différent de tous les autres, eh bien ! puisqu’ils étaient maîtres de la mer et que l’ennemi n’avait pas de flotte, on ne saurait les empêcher de faire venir tous les jours de l’eau douce par leurs vaisseaux, soit du Paratonium (3), qui était sur leur gauche, soit de l’île du Phare qu’ils avaient à droite, le vent ne pouvant jamais être contraire à la navigation de ces deux côtés à la fois : quant à la fuite, qu’il n’y avait pas à y songer, non pas seulement pour ceux qui estimaient l’honneur avant tout, mais même pour ceux qui ne se souciaient de rien que de la