Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/707

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

batailles plus sanglantes qu’à Pharsale. La fureur de la guerre civile avait, comme la vague, poussé sur ses rivages les débris du naufrage de Pompée ; que dis je, des débris ? c’était l’appareil de toute une guerre nouvelle. Les forces des vaincus avaient été plutôt dispersées que détruites (40). Leur union était devenue plus étroite et plus sacrée par le désastre même de leur chef. Il n’avait pas d’indignes successeurs dans les généraux qui le remplaçaient ; et c’étaient, après celui de Pompée, des noms qui sonnaient encore assez haut, que ceux de Caton et de Scipion.

Juba, roi de Mauritanie, unit ses forces aux leurs, comme pour étendre sur plus d’ennemis la victoire de César. Il n’y eut aucune différence entre Pharsale et Thapsus[1], si ce n’est que, sur un plus vaste champ de bataille, les soldats de César déployèrent une impétuosité plus terrible, indignés de voir qu’après la mort de Pompée la guerre eût grandi encore. Enfin, ce qui n’était jamais arrivé, les trompettes, sans attendre l’ordre du général, sonnèrent d’eux-mêmes la charge (41). Le carnage commença par les troupes de Juba. Ses éléphants, encore étrangers aux combats, et nouvellement tirés de leurs forêts, s’effarouchèrent au premier bruit du clairon. Aussitôt l’armée prit la fuite : les généraux n’eurent pas plus de courage ; ils furent entraînés dans cette déroute ; mais tous surent trouver une mort glorieuse. Scipion fuyait sur un vaisseau : mais, se voyant atteint par les ennemis, il se passa son épée au travers du corps. Quelqu’un demandant où était le général, il répondit ces propres mots « le général est en sûreté » (42). Juba se retira dans son palais ; il offrit, le lendemain de son arrivée, un repas splendide à Pétréius, compagnon de sa fuite, et, au milieu même de ce banquet, il lui demanda de le tuer. Pétréius tua ce prince et se tua lui-même ; et le sang d’un roi mêlé avec celui d’un Romain arrosa les mets à moitié consommés de ce festin funèbre (43).

Caton n’assista pas assisté à la bataille. Il campait près du Bagrada pour garder Utique, qui était comme la seconde cléf de l’Afrique. Dès qu’il apprend la défaite de son parti, il n’hésite pas, résolution digne d’un sage, à appeler, même avec joie, la Mort à son secours. Après avoir embrassé et fait retirer son fils et ses amis, il se coucha, lut pendant la nuit, à la lueur d’une lampe, le livre où Platon enseigne l’immortalité de l’âme, et se reposa ensuite quelques instants ; puis, vers la première veille, il tira son épée, découvrit sa poitrine et se frappa deux fois. Les médecins ayant osé profaner de leurs appareils les blessures de ce grand homme, il souffrit leurs soins, pour se délivrer de leur présence ; mais bientôt rouvrant ses plaies, d’où le sang jaillit avec violence, il y laissa plongées ses mains mourantes (44).

Cependant, comme si l’on n’eût encore combattu nulle part, le parti vaincu reprit les armes ; et autant l’Afrique avait surpassé la Thessalie, autant l’Espagne surpassa l’Afrique. Un grand avantage pour ce parti, c’était de voir à sa tête deux chefs qui étaient frères, deux Pompées au lieu d’un. Aussi jamais guerre ne fut plus sanglante ni victoire plus disputée.

Les lieutenants Varus et Didius en vinrent les

  1. Ville sur la côte d’Afrique, à droite de Carthage, et presqu’en face de l’ile de Malte.