Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1854.djvu/101

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bliothèques, quelque document qui lui procure l’honneur de se croire apparenté au quatorzième degré avec quelque illustre famille.



Grand merci, mon vieux camarade. (Page 94.)

― Je n’ai point cet honneur-là, dit le majordome un peu décontenancé ; cependant, j’ai eu la satisfaction de m’assurer que je n’étais point issu d’une race vile : j’ai eu des ascendants mâles assez honorables dans le clergé et l’industrie.

― Je vous en fais mon compliment sincère, dit Michel avec ironie ; quant à moi, je n’ai jamais songé à demander à mon père si nous avions eu des ascendants peintres d’enseignes, sacristains ou majordomes ; j’avoue même que cela m’est parfaitement indifférent, et que je n’ai jamais eu qu’une préoccupation à cet égard, c’est de devoir mon illustration à moi-même et de me créer mes armoiries avec une palette et des pinceaux.

― À la bonne heure, répondit le marquis, c’est une noble ambition ; tu voudrais être la souche d’une race illustre dans les arts, et acquérir ta noblesse au lieu de la laisser perdre, comme font tant de pauvres sires indignes d’un grand nom. Mais trouverais-tu mauvais d’avance que tes descendants fussent fiers de porter le tien ?

― Oui, monsieur le marquis, je trouverais cela mauvais, si mes descendants étaient des ignorants et des sots.

― Mon ami, reprit le marquis avec un grand calme, je sais fort bien que la noblesse est dégénérée en tous pays, et je n’ai pas besoin de te dire qu’elle est d’autant moins pardonnable qu’elle avait plus d’illustration à porter et de grandeur à soutenir. Mais en sommes-nous à faire le procès à telle ou telle caste de la société, et avons-nous à nous occuper ici du plus ou moins de mérite des individus qui la composent ? Ce qui pouvait être intéressant, et même utile pour nous tous, dans une discussion de ce genre, c’était l’examen de l’institution en elle-même. Veux-tu me dire tes idées, Michel, et si tu blâmes ou si tu approuves les distinctions établies entre les hommes ?

― Je les approuve, dit Michel sans hésiter, car j’aspire moi-même à me distinguer ; mais je désavoue tout principe d’hérédité dans ces distinctions.

― Tout principe d’hérédité ? reprit le marquis. En tant que fortune et pouvoir, je le conçois. C’est une idée française, une idée hardie… ; elles me plaisent, ces