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LE PICCININO.

avoir résolu d’aller trouver le Piccinino. Ils approchaient de la sinistre croix du Destatore, lorsque les cloches de Catane, changeant de rhythme, firent entendre les notes lugubres qui annoncent la mort. Fra-Angelo fit un signe de croix sans s’arrêter ; Michel songea à son père, assassiné peut-être par l’ordre de ce prélat impie, et doubla le pas afin de s’agenouiller sur la tombe de Castro-Reale.



Fra-Angelo triompha de l’hésitation des bandits. (Page 140.)

Il ne se sentait pas encore le courage de regarder de près cette croix fatale, où il avait éprouvé des émotions si pénibles, alors même qu’il ne savait pas quel lien du sang l’attachait au bandit de l’Etna. Mais un grand vautour qui s’envola brusquement, du pied même de la croix, le força d’y porter les yeux involontairement. Un instant, il se crut la proie d’une odieuse hallucination. Un cadavre couché dans une mare de sang gisait à la place d’où le vautour s’enfuyait.

Glacés d’horreur, Michel et le moine s’approchèrent et reconnurent le cadavre de l’abbé Ninfo, à moitié défiguré par des coups de pistolet tirés à bout portant. Ce meurtre avait été prémédité ou accompli avec un rare sang-froid, car on s’était donné le temps et la peine d’écrire à la craie, et en lettres fines et pressées, sur la lave noire du piédestal de la croix, cette inscription d’une précision implacable :

« Ici fut trouvé, il y a aujourd’hui dix-huit ans, le cadavre d’un célèbre bandit, il Destatore, prince de Castro-Reale, vengeur des maux de son pays.

« L’on y trouvera aujourd’hui le cadavre de son assassin, l’abbé Ninfo, qui a confessé lui-même sa participation au crime. Un si lâche champion n’eût pas osé frapper un homme si brave. Il l’avait attiré dans un piége où il a fini par tomber lui-même, après dix-huit ans de forfaits impunis.

« Plus heureux que Castro-Reale frappé par des esclaves, Ninfo est tombé sous la main d’un homme libre.

« Si vous voulez savoir qui a condamné et payé l’assassinat du Destatore, demandez-le à Satan, qui, dans une heure, recevra à son tribunal l’âme perverse du cardinal Ieronimo de Palmarosa.

« N’accusez pas la veuve de Castro-Reale : elle est innocente.

« Michel de Castro-Reale, il y aura encore bien du sang à répandre avant que la mort de ton père soit vengée !

« Celui qui a écrit ces lignes est le bâtard de Castro-Reale, celui qu’on appelle le Piccinino et le Justicier d’aventure. C’est lui qui a tué le fourbe Ninfo. Il l’a fait au soleil levant, au son de la cloche qui annonçait l’agonie du cardinal de Palmarosa. Il l’a fait afin qu’on ne crût