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LE POËME DE MYRZA.

ses. Nul ne sait le nombre et la forme des espèces tombées en poussière ; l’imagination de l’homme ne saurait les reconstruire ; si elle le pouvait, l’homme mourrait d’épouvante à la seule idée de les voir. L’abeille fut peut-être la sœur de l’éléphant ; peut-être une race d’insectes, aujourd’hui perdue, détruisit celle du mammouth, que l’homme appelle le colosse de la création. Dans ces marécages qui couvraient des continents entiers, il dut naître des serpents qui, en se déroulant, faisaient le tour du globe, et les aigles de ces montagnes, infranchissables pour nos gazelles abâtardies, enlevaient dans leurs serres des rhinocéros de cent coudées. En même temps que les dragons ailés arrivaient des nuages de l’orient, les licornes indomptables descendaient de l’occident, et quand une troisième race de monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré les deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et l’odeur de la corruption appelait l’hyène du nord, des vautours plus grands que l’hyène, et des fourmis plus grandes que les vautours ; et sur ces montagnes de cadavres, parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres sans nom élevaient jusqu’aux nues la profusion de leurs rameaux splendides, et des roses plus belles et plus grandes que les filles des hommes ne le furent jamais, exhalaient des parfums dont s’enivraient les esprits de la terre, couverts de robes diaprées, aujourd’hui réduits à la taille du papillon, et aux trois grains d’or de l’étamine de nos fleurs.



L’ange du sommeil l’appela. (Page 61.)

Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage informe du temps et de la matière, les saintes Écritures l’appellent l’âge du chaos. Or, tandis que les quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu’ils passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, ils s’arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit : Qu’avez-vous fait ? Pourquoi ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s’il était ivre ? Avez-vous bu la coupe de l’orgueil ? Prétendez-vous faire les œuvres de l’Éternel ? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix ; il vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.

L’Éternel passa ; et quand les quatre Esprits virent s’effacer dans l’espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent : Pourquoi ne résisterions-nous pas à