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SIMON.

rai moi-même : car j’ai quelque chose en outre à lui dire.

— Quoi donc ? dit la malicieuse Fiamma.

— Rien qui vous concerne, dit la vieille femme.

— Oh ! je le crois ! » reprit l’enfant avec un sourire.

Elle se plaça dans un coin pour écrire, et la vieille se prépara au départ ; elle mit son jupon rayé, sa cape de molleton blanc et ses mitons de laine tricotée.

« Mais, comment irai-je ? s’écria-t-elle tout d’un coup ; il a emprunté le cheval de M. Parquet pour s’en aller, et la mule de mademoiselle Bonne est en campagne.

— Je vous prêterai Sauvage.

— Oh ! oh ! non pas, je ne suis pas lasse de vivre tant que j’aurai mon Simon !

— Comment donc faire ? dit Fiamma. Chercher un cheval dans le village ? cela va nous retarder. Il est déjà quatre heures. Et si nous n’en trouvons pas, il faudra que Simon passe cette soirée dans la tristesse !

— Et cette nuit, dit Jeanne, oh ! c’est cette nuit que je redoute pour lui ; la dernière a été si terrible !

— Pauvre Simon ! dit Fiamma. Allons, mère Féline il n’y a qu’un moyen. Vous monterez sur Sauvage ; il est doux comme un mouton quand je suis avec lui. Je le tiendrai par la bride, et je vous conduirai à pied jusqu’à la ville.

— Il y a trois lieues  ! Je ne le souffrirai jamais. Prenez-moi en croupe.

— Sauvage n’est pas habitué à cela ; il pourrait nous jeter toutes deux par terre ; d’ailleurs il est si petit que nous serions fort mal à l’aise sur son dos. Allons, je cours le chercher ; êtes-vous prête ?

— Je ne me laisserai jamais conduire ainsi par vous.

— Il le faut pourtant bien ; ce sera charmant, nous aurons l’air de la Fuite en Égypte.

— Mais que va-t-on dire ? Il ne faut pas nous montrer ainsi dans le village.

— Traversez-le à pied, et attendez-moi au grand buis, à l’entrée de la montagne ; nous irons par la Coursière, nous ne rencontrerons personne. Allons, partez ; j’y serai aussitôt que vous. »

Un quart d’heure après, ces deux femmes cheminaient sur le sentier sinueux de la montagne, Jeanne assise sur le petit cheval et enveloppée dans sa cape. Fiamma marchait devant elle, un petit manteau espagnol jeté sur l’épaule, la bride passée au bras, et de temps en temps parlant à Sauvage pour le calmer ; car il était fort ennuyé d’aller ainsi au pas, et de n’être pas sollicité à caracoler de temps en temps. Cependant, le sentier devenant de plus en plus difficile et escarpé, la nuit commençant à tomber, l’instinct de la prudence le rendit calme et attentif à tous ses pas. Quoique Fiamma marchât comme un Basque, franchissant les roches et se débarrassant des broussailles avec plus de légèreté que Sauvage lui-même, il était sept heures du soir lorsqu’elle aperçut les lumières de la ville. Elle engagea sa vieille amie à mettre pied à terre pour descendre le versant rapide de la dernière colline ; et tandis que Sauvage les suivait de lui-même comme un chien, elle soutint Jeanne de son bras robuste, et la conduisit jusqu’aux premières maisons. Là, elle lui remit sa lettre pour Simon, et, après l’avoir embrassée, elle remonta sur son cheval.

« Bon Dieu ! dit Jeanne, si je ne craignais pas les mauvaises langues, je vous emmènerais avec moi coucher à la ville. Voilà le vent qui se lève ; il fait noir comme dans l’enfer, et si la neige venait à tomber ! Hélas ! je suis effrayée de vous voir partir ainsi, seule, à cette heure, par ce froid mortel.

— Allons, bonne mère, ne craignez rien ; donnez-moi votre bénédiction, elle me préservera de tout danger. Je vous salue, je vous aime, et comme une véritable héroïne de roman, je m’élance à cheval dans la nuit orageuse. »

Jeanne, transie de froid, resta pourtant immobile à l’entrée de la rue jusqu’à ce qu’elle eût cessé d’entendre le galop de Sauvage sur la terre durcie par la gelée. « Ô neige ! ne tombe pas, murmura la vieille femme en se signant ; lune blanche, lève-toi vite ; et vous, sainte Vierge, veillez sur elle ! »

Lorsqu’elle arriva au domicile de maître Parquet, elle fut enchantée d’apprendre de la servante que l’avoué était au café, et que Simon était seul dans l’étude. Elle entra, et le vit appuyé contre le poêle la tête dans ses mains. Le bruit des petits sabots plats de sa mère le fit tressaillir. Avant qu’elle eût parlé, il avait reconnu son pas encore égal et ferme. Il s’élança dans ses bras, et pour la première fois de sa vie il s’abandonna au besoin de se laisser consoler par la tendresse maternelle. Un torrent de larmes coula de ses yeux sur le sein de la vieille Jeanne.

« Vous avez fui votre mère, et votre mère court après vous, lui dit-elle avec l’accent grondeur de la tendresse. Autrefois vous n’eussiez pas agi ainsi, votre mère était votre seul amour ; à présent j’ai une rivale, un ange que j’aime aussi, mais que j’aime moins que vous. Pourquoi l’aimez-vous plus que moi ?

— Oh ! ma bonne vieille, ma sainte mère ! ne me faites pas de reproches, répondit Simon ; je suis trop malheureux. N’empoisonnez pas cet instant où la seule vue de vos cheveux blancs suffit à me donner de la joie au milieu de mon désespoir. Ne croyez pas que je vous aime moins que par le passé. Tant que je vous aurai, je pourrai tout supporter ; quand vous mourrez, je mourrai.

— Tais-toi, enfant. Il y a quelqu’un qui saura bien te consoler !… Tais-toi, écoute. Le cousin est parti ; on ne l’aime pas, on ne veut pas de lui ; il ne reviendra pas.

— Grand Dieu ! ma mère, ne me trompez-vous pas pour me consoler ? » s’écria Simon.

Et il se fit raconter les moindres détails de l’entrevue de Fiamma avec sa mère. Il était si ému, si oppressé, qu’il écoutait à peine la réponse à ses mille questions, tant il avait hâte d’en faire de nouvelles ! Il ne comprenait pas la plupart du temps, et se faisait répéter cent fois la même chose. Ce ne fut qu’au bout d’une heure de conversation qu’il comprit la manière dont Fiamma avait accompagné sa mère ; et alors seulement Jeanne, rassurée sur le désespoir de son fils, sentit se réveiller ses inquiétudes pour Fiamma, et laissa échapper ces mots :

« Ô mon Dieu ! je ne m’effraie pour elle ni de la nuit ni de la solitude ; elle a un bon cheval, elle est brave et forte comme lui ; mais s’il venait à tomber de la neige avant qu’elle fût rentrée ! C’est si dangereux dans nos montagnes ! »

Simon pâlit et fit signe à Jeanne d’écouter. Le vent sifflait avec violence autour de cette maison bien close et bien chauffée. Simon pensa au froid qui devait glacer les membres de Fiamma durant cette nuit rigoureuse ; l’angoisse passa dans son cœur, il courut ouvrir la fenêtre : des flocons de neige, amoncelés sur la vitre, tombèrent à ses pieds. Un cri sympathique partit de son sein et de celui de sa mère ; puis ils restèrent immobiles et pâles à se regarder en silence.

Simon courut seller le cheval de M. Parquet, et bientôt il fut sur le sentier de la montagne, courant à toute bride sur les traces de Sauvage. Héias ! la neige les avait couvertes. Jeanne n’avait pas dit un mot pour l’empêcher de partir. Mais, quand elle se trouva seule, le poids d’une double inquiétude tombant sur son coeur, elle leva les bras vers le ciel et lui demanda de ne pas voir lever le jour si son fils ne devait pas revenir. Cependant, elle se rassura peu à peu en voyant que la neige n’épaississait pas. Simon rentra à deux heures du matin. Il avait été loin sans atteindre la trace de Fiamma. Elle avait été rapide comme le vent et les nuages. Mais la neige ayant cessé de tomber et la lune s’étant levée dans tout son éclat, il avait reconnu la piste de Sauvage, et, un peu en arrière, celle de plusieurs loups qui avaient dû le suivre assez longtemps ; car il avait remarqué ces traces jusqu’à l’entrée du village de Fougères. Là les sabots du cheval s’étaient montrés délivrés de leur sinistre cortège, et il avait espéré atteindre la brave amazone mais en vain. Il avait conduit sa monture à la cabane pour la faire reposer un instant, et, pendant ce temps, il s’était glissé dans les cours du château. Il avait vu, à la lueur des flambeaux, Sauvage fumant de sueur, entre deux palefreniers empressés à le frotter et à l’envelopper de couvertures. Il avait même entendu dire à un de ces la-