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LE PICCININO.

vois aujourd’hui si brillant, si ouvert et si rempli de monde, était encore, il y a un mois, ce qu’il était à l’époque que je te raconte, ce qu’il avait été déjà depuis cinq ans qu’elle était libre et orpheline, ce qu’il sera peut-être de nouveau demain. C’était un tombeau où elle semblait s’être ensevelie vivante. Toutes les richesses aujourd’hui étalées aux regards, étaient enfouies dans l’obscurité et sous la poussière, comme des reliques dans un caveau funèbre. Deux ou trois serviteurs, tristes et silencieux, marchaient sans bruit dans les longues galeries fermées au soleil et à l’air extérieur. Partout, d’épais rideaux tendus devant les fenêtres, des portes rouillées qui ne tournaient plus sur leurs gonds, un air d’abandon solennel, des statues qui se dressaient, dans l’ombre, comme des spectres ; des portraits de famille qui vous suivaient du regard, d’un air de méfiance : j’eus peur, et pourtant j’avançai toujours. La maison n’était pas gardée comme je m’y attendais. Elle avait, pour sentinelles invisibles, sa réputation de tristesse inhospitalière et l’effroi de sa propre solitude. J’y portais l’audace insensée de mes vingt ans, la témérité funeste d’un cœur épris d’avance et courant à sa perte.



Je pleurais, la tête dans mes mains. (Page 39.)

« Par un hasard qui tient de la fatalité, je ne fus interrogé par personne. Les rares serviteurs de cette maison lugubre ne me virent pas, ou ne songèrent point à m’empêcher d’avancer, s’en remettant peut-être à quelque cerbère plus intime de la patronne, qui devait garder la porte de ses appartements, et qui, par miracle, ne s’y trouva point.

« L’instinct ou la destinée me guidaient. Je traversai plusieurs salles, je soulevai des portières lourdes et poudreuses ; je franchis une dernière porte ouverte, je me trouvai dans une pièce fort riche, où un grand portrait d’homme occupait un panneau en face de moi. Je m’arrêtai. Ce portrait fit passer un frisson dans mes veines.

« Je le reconnaissais d’après la description que mon père m’en avait faite, car l’original de ce portrait défrayait encore alors les histoires et les propos de notre peuple, beaucoup plus que les singularités de la princesse. C’était le portrait de Dionigi Palmarosa, le père de madame Agathe, et il faut que je te parle de cet homme terrible, Michel ; car peut-être ne l’as-tu pas encore entendu nommer dans ce pays, où on ne le nomme