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LE PICCININO.

trastaient avec des vêtements poudreux et usés par un long voyage. Par quel caprice le cardinal s’attacha-t-il à examiner ce jeune homme et à vouloir s’enquérir de lui ? c’est ce que l’abbé Ninfo lui-même ne sait point et m’a chargé de pénétrer, s’il est possible. Il y a une chose certaine : c’est que la manie qui, depuis longtemps, possède le cardinal de s’enquérir du nom et de l’âge de tous les gens du peuple dont la figure le frappe, a survécu à la perte de son activité et de sa mémoire. C’est comme une inquiétude vague qui lui reste de ses fonctions de haute police, et, par ses regards impérieux, il fait comprendre à l’abbé Ninfo qu’il ait à interroger et à lui rendre compte. Il est vrai que lorsque l’abbé lui montra ensuite le résumé écrit de ses interrogations, il parut n’y prendre aucun intérêt : de même que, toutes les fois que l’abbé l’importune de ses demandes indiscrètes ou de ses questions insidieuses, Son Éminence, après avoir lu les premiers mots, ferme les yeux d’un air courroucé, pour montrer qu’elle ne veut pas être fatiguée davantage. Peut-être Votre Altesse ne savait-elle pas ces détails, dont le docteur Recuperati n’est jamais témoin ; car, pendant le peu d’heures de sommeil qu’il est permis à ce bon docteur de goûter, la surveillance des serviteurs dévoués, dont Votre Altesse a su entourer le cardinal, n’est pas telle que le Ninfo ne s’introduise auprès de lui, pour le réveiller sans façon et lui placer devant les yeux certaines phrases écrites dont il espère un heureux effet. Le cardinal, ainsi éveillé, a, grâce à la souffrance et à la colère, un instant de lucidité plus grande que de coutume ; il lit, paraît comprendre et essaie de murmurer des mots dont quelques syllabes sont intelligibles pour son persécuteur ; mais aussitôt après il retombe dans un nouvel accablement, et la faible lumière de sa vie est usée et amoindrie d’autant plus.



Il se trouva bientôt dans la campagne et distingua deux hommes sur un sentier. (Page 77.)

« Ainsi, s’écria la princesse indignée, de flatteur et d’espion, ce scélérat s’est fait le bourreau et l’assassin de mon malheureux oncle ! Vous voyez bien, monsieur le capitaine, qu’il faut l’en délivrer au plus vite, et qu’il n’est pas besoin d’autre motif pour me faire désirer qu’il soit éloigné de nous.

― Pardon, Madame, répondit l’obstiné bandit. Si je ne vous avais pas informée de ces choses, vous auriez des motifs plus personnels encore, que vous ne voulez pas me dire, mais que je me suis fait dire par le Ninfo. Je