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VALENTINE.

il la remerciait de lui avoir donné un ami et un fils. La pauvre Louise pleurait en l’écoutant, et s’efforçait de trouver l’amitié de Bénédict plus flatteuse et plus douce que ne l’eût été son amour.



C’est que Valentine semblait bien mieux faite qu’Athénaïs pour être sa femme. (Page 31.)

Athénaïs, rieuse et folâtre, reprenait au pavillon toute l’insouciance de son âge ; elle oubliait là les tracas du ménage, les orageuses tendresses et la jalouse défiance de Pierre Blutty. Elle aimait encore Bénédict, mais autrement que par le passé ; elle ne voyait plus en lui qu’un ami sincère. Il l’appelait sa sœur, comme Louise et Valentine ; seulement il se plaisait à la nommer sa petite sœur. Athénaïs n’avait pas assez de poésie dans l’esprit pour s’obstiner à nourrir une passion malheureuse. Elle était assez jeune, assez belle pour aspirer à un amour partagé, et jusque-là Pierre Blutty n’avait pas contribué à faire souffrir sa petite vanité de femme. Elle en parlait avec estime, la rougeur au front et le sourire sur les lèvres ; et puis, à la moindre remarque maligne de Louise, elle s’enfuyait, légère espiègle, parmi les sentiers du parc, traînant après elle le timide Valentin, qu’elle traitait de petit écolier, et qui n’avait guère qu’un an de moins qu’elle.

Mais ce qu’il serait impossible de rendre, c’est la tendresse muette et réservée de Bénédict et de Valentine, c’est ce sentiment exquis de pudeur et de dévouement qui dominait chez eux la passion ardente toujours prête à déborder. Il y avait dans cette lutte éternelle mille tourments et mille délices, et peut-être Bénédict chérissait-il autant les uns que les autres. Valentine pouvait souvent encore craindre d’offenser Dieu et souffrir de ses scrupules religieux ; mais lui, qui ne concevait pas aussi bien l’étendue des devoirs d’une femme, se flattait de n’avoir entraîné Valentine dans aucune faute et de ne l’exposer à aucun repentir. Il lui sacrifiait avec joie ces brûlantes aspirations qui le dévoraient. Il était fier de savoir souffrir et vaincre : tout bas, son imagination s’enivrait de mille désirs et de mille rêves ; mais tout haut il bénissait Valentine des moindres faveurs. Effleurer ses cheveux, respirer ses parfums, se coucher sur l’herbe à ses pieds, la tête appuyée sur un coin de son tablier de soie, reprendre sur le front de Valentin un des baisers qu’elle venait d’y déposer, emporter furtivement, le soir, le bouquet qui s’était flétri à sa ceinture, c’étaient là les grands accidents et les grandes joies de cette vie de privation, d’amour et de bonheur.