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FRANÇOIS LE CHAMPI.

il connaissait ce prêtre-là pour un bon, et il en est d’eux comme des femmes, qui sont toute bonté ou toute chétivité.

Le champi s’en vint à la maison plus triste que joyeux. Il pensait à sa mère et il eût bien donné les quatre mille francs pour la voir et l’embrasser. Mais il se disait aussi qu’elle venait peut-être de décéder, et que son présent était une de ces dispositions qu’on prend à l’article de la mort ; et cela le rendait encore plus sérieux, d’être privé de porter son deuil et de lui faire dire des messes. Morte ou vivante, il pria le bon Dieu pour elle, afin qu’il lui pardonnât l’abandon qu’elle avait fait de son enfant, comme son enfant le lui pardonnait de grand cœur, priant Dieu aussi de lui pardonner les siennes fautes pareillement.

Il tâcha bien de ne rien laisser paraître ; mais pour plus d’une quinzaine il fut comme enterré dans des rêvasseries aux heures de son repas, et les Vertaud s’en émerveillèrent.

Ce garçon ne nous dit pas toutes ses pensées, observait le meunier. Il faut qu’il ait l’amour en tête.

— C’est peut-être pour moi, pensait la fille, et il est trop délicat pour s’en confesser. Il a peur qu’on ne le croie affolé de ma richesse plus que de ma personne ; et tout ce qu’il fait, c’est pour empêcher qu’on ne devine son souci.

Là-dessus, elle se mit en tête de séduire sa faroucheté, et elle l’amignonna si honnêtement en paroles et en quarts d’œil qu’il en fut un peu secoué au milieu de ses ennuis.

Et par moments, il se disait qu’il était assez riche pour secourir Madeleine en cas de malheur, et qu’il pouvait bien se marier avec une fille qui ne lui réclamait point de fortune. Il ne se sentait point affolé d’aucune femme ; mais il voyait les bonnes qualités de Jeannette Vertaud, et il craignait de montrer un mauvais cœur en ne répondant point à ses intentions. Par moments son chagrin lui faisait peine, et il avait quasiment envie de l’en consoler.

Mais voilà que tout d’un coup, à un voyage qu’il fit à Grevant pour les affaires de son maitre, il rencontra un cantonnier-piqueur qui était domicilié vers Presles et qui lui apprit la mort de Cadet Blanchet, ajoutant qu’il laissait un grand embrouillas dans ses affaires, et qu’on ne savait si sa veuve s’en tirerait à bien ou à mal.

François n’avait point sujet d’aimer ni de regretter maître Blanchet. Et si, il avait tant de religion dans le cœur, qu’en écoutant la nouvelle de sa mort il eut les yeux moites et la tête lourde comme s’il allait pleurer ; il songeait que Madeleine le pleurait à cette heure, lui pardonnant tout, et ne se souvenant de rien, sinon qu’il était le père de son enfant. Et le regret de Madeleine lui répondait dans l’esprit et le forçait à pleurer aussi pour le chagrin qu’elle devait avoir.

Il eut envie de remonter sur son cheval et de courir auprès d’elle ; mais il pensa devoir en demander la permission à son maître.

XV.

— Mon maitre, dit-il à Jean Vertaud, il me faut partir pour un bout de temps, court ou long, je ne saurais rien garantir. J’ai affaire du côté de mon ancien endroit, et je vous semonds de me laisser aller de bonne amitié ; car, à vous parler en vérité, si vous me déniez ce permis, il ne me sera pas donné de vous complaire, et je m’en irai malgré vous. Excusez-moi de vous dire la chose comme elle est. Si je vous fâche, j’en aurai grand chagrin, et c’est pourquoi je vous demande, pour tout remerciement des services que j’ai pu vous rendre, de ne pas prendre la chose en mal et de me remettre la faute que je fais à cette heure en quittant votre ouvrage. Faire se peut que je revienne au bout de la semaine, si, où je vas, on n’a pas besoin de moi. Mais faire se peut de même que je ne revienne que tard dans l’an, et même point, car je ne vous veux pas tromper. Cependant de tout mon pouvoir je viendrais dans l’occasion vous donner un coup de main, s’il y avait quelque chose que vous ne pourriez pas débrouiller sans moi. Et devant que de partir, je veux vous trouver un bon ouvrier qui me remplace et à qui, si besoin est pour le décider, j’abandonnerai ce qui m’est dû sur mon gage depuis la Saint-Jean passée. Par ainsi, la chose peut s’arranger sans vous porter nuisance, et vous allez me donner une poignée de main pour me porter bonheur et m’alléger un peu du regret que j’ai de vous dire adieu.

Jean Vertaud savait bien que le champi ne voulait pas souvent se contenter, mais que, quand il le voulait, c’était si bien voulu que ni Dieu ni diable n’y pouvaient mais.

— Contente-toi donc, mon garçon, fit-il en lui donnant la main ; je mentirais si je disais que ça ne me fait rien. Mais plutôt que d’avoir différend avec toi, je suis consentant de tout.

François employa la journée qui suivit à se chercher un remplaçant pour le meulage, et il en rencontra un bien courageux et juste, qui revenait de l’armée et qui fut content de trouver de l’ouvrage bien payé chez un bon maître, car Jean Vertaud élait réputé tel et n’avait jamais fait de tort à personne.

Devant que de se mettre en route, comme il en avait l’idée, à la pique du jour ensuivant, François voulut dire adieu à Jeannette Vertaud sur l’heure du souper. Elle était assise sur la porte de la grange, disant qu’elle avait le mal de tête et ne mangerait point. Il connut qu’elle avait pleuré, et il en fut tracassé dans son esprit. Il ne savait par quel bout s’y prendre pour la remercier de son bon cœur et pour lui dire qu’il ne s’en allait pas moins. Il s’assit à côté d’elle sur une souche de vergne qui se trouvait par là, et il s’évertua pour lui parler, sans trouver un pauvre mot. Là-dessus, elle qui le voyait bien sans le regarder, mit son mouchoir devant les yeux. Il leva la main comme pour prendre la sienne et la réconforter, mais il en fut empêché par l’idée qu’il ne pouvait pas lui dire en conscience ce qu’elle aurait aimé d’entendre. Et quand la pauvre Jeannette vit qu’il restait coi, elle eut honte de son chagrin, se leva tout doucement sans montrer de rancune, et s’en alla dans la grange pleurer tout son comptant.

Elle y resta un peu de temps, pensant qu’il y viendrait peut-être bien et qu’il se déciderait à lui dire quelque bonne parole, mais il s’en défendit et s’en alla souper, assez triste et ne sonnant mot.

Il serait faux de dire qu’il n’avait rien senti pour elle en la voyant pleurer. Il avait bien eu le cœur un peu picoté, et il songeait qu’il aurait pu être bien heureux avec une personne aussi bien famée, qui avait tant de goût pour lui, et qu’il n’était point désagréable à caresser. Mais de toutes ces idées-là il se garait, pensant à Madeleine qui pouvait avoir besoin d’un ami, d’un conseil et d’un serviteur, et qui pour lui, lorsqu’il n’était encore qu’un pauvre enfant tout dépouillé, et mangé par les fièvres, avait plus souffert, travaillé et affronté que pas une au monde.

— Allons ! se dit-il le matin, en s’éveillant avant jour, il ne s’agit pas d’amourette, de fortune et de tranquillité pour toi. Tu oublierais volontiers que tu es champi, et tu mettrais bien les jours passés dans l’oreille du lièvre, comme tant d’autres qui prennent le bon temps au passage sans regarder derrière eux. Oui, mais Madeleine Blanchet est là dans ton penser pour te dire : Garde-toi d’être oublieux, et songe à ce que j’ai fait pour toi. En route donc, et Dieu vous assiste, Jeannette, d’un amoureux plus gentil que votre serviteur !

Il songeait ainsi en passant sous la fenêtre de sa brave maîtresse, et il eût voulu, si c’eût été en temps propice, lui laisser contre la vitre une fleur ou un feuillage en signe d’adieu ; mais c’était le lendemain des Rois ; la terre était couverte de neige, et il n’y avait pas une feuille aux branches, pas une pauvre violette dans l’herbage.

Il s’inventa de nouer dans le coin d’un mouchoir blanc la fève qu’il avait gagnée la veille en tirant le gâteau, et