Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

moment, devant la crainte de perdre un prix mal acquis ! Aux termes du franc jeu, vous deviez une revanche à messer Dominique ; car il a été visiblement distrait à son dernier tour. D’ailleurs il est extrêmement fatigué, et vous ne devez pas l’être. Voyons ! si vous n’êtes pas aussi craintif et aussi fugace que le lézard, votre emblème, vous devez me donner partie.



Il comprit qu’il traversait le Pont des Soupirs. (Page 21.)

— Je vous donnerai cette partie, répondit Valerio irrité ; mais ce soir ou demain vous m’en donnerez une d’un genre plus sérieux pour la manière dont vous osez me parler. Allez, commencez. Je vous céde la main et vous rends trois points.

— Je n’en veux pas un seul, s’écria le Bozza. Vite, un cheval !… Quoi ! cette pitoyable rosse ? dit-il en se retournant vers le Maure qui lui présentait un cheval fougueux. N’en avez-vous pas une moins éreintée ?

En parlant ainsi, il s’élança sur le coursier avec une légèreté surprenante, sans mettre le pied à l’étrier, et il le fit cabrer et caracoler avec une audace qui prévint tout le monde en sa faveur ; puis s’élançant comme la foudre dans la carrière :

« Je ne joue jamais moins de dix bagues ! cria-t-il d’un ton arrogant.

— Soit, dix bagues ! » répondit Valerio, dont l’air soucieux commençait à ébranler la confiance de ses partisans.

Le Bozza enleva les dix bagues en un seul tour ; puis, arrêtant brusquement son cheval lancé au galop, à la manière intrépide et vigoureuse des Arabes, il sauta par terre tandis que l’animal se cabrait encore, jeta sa dague de jeu au milieu de l’arène, et alla se coucher nonchalamment aux pieds de Marietta Robusti, en regardant son adversaire d’un air froidement ironique.

Valerio, blessé au vif, sentit son courage renaître ; il avait onze bagues à prendre pour gagner. C’était bien ce qu’il était capable de faire, mais non ce qu’il avait précisément coutume de faire ; car les parties étaient rarement de plus de cinq, et il fallait que Bozza se fût beaucoup exercé pour obtenir d’emblée un tel succès. Néanmoins le mépris et le ressentiment donnaient des forces au jeune maître. Il partit et fit neuf bagues avec bonheur ; mais, au moment de toucher la dixième, il