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JEANNE.

Suis-je condamnée à voir Guillaume tomber peu à peu dans un état pire pour lui que la mort ? Plaignez-moi, rassurez-moi, et vous, qui pénétrez et découvrez tant de choses, éclairez-moi, enfin, si vous le pouvez.



C’est-il vrai ce que vous dites là… (Page 71.)

— Ma chère, je vous l’ai dit cent fois, répondit la sous-préfette, le remède nécessaire à votre fils, c’est le mariage. Vous l’avez élevé comme une demoiselle, vous l’avez fait pieux et sage, c’est fort bien ; mais si vous prolongez l’état de célibat où il feint de s’obstiner à vivre, il deviendra fou très-certainement.

— Ne prononcez pas ce mot affreux, et dites-moi si, en effet, vous croyez, comme vous me l’avez dit souvent, Guillaume amoureux à mon insu.

— Cela se pourrait ; mais depuis que je l’observe jour par jour, il me semble qu’il est plus amoureux en général qu’en particulier.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il est, comme un jeune novice cloîtré, amoureux de toutes les femmes qu’il voit. Je ne serais pas étonnée que cette belle Jeanne, que vous gâtez si fort, et que l’on traite ici comme une égale, ne lui trottât par la cervelle. Vous ne voulez pas me croire, vous avez une taie sur les yeux. Guillaume brûle pour cette fille d’un feu très-peu chaste dans l’intention… bien qu’il le soit peut-être dans le fait ; je ne me prononcerai pas là-dessus. Mais voyez l’exaltation de ce jeune homme ! Il aime sir Arthur comme un frère d’armes du moyen âge. Il aime sa sœur presque comme un amant… et il aime ma fille aussi.

— Vous le croyez ?

— Cela vous contrarie, et pourtant cela est. Oh ! je sais bien que sous votre air humble et modeste vous cachez beaucoup d’ambition pour vos enfants. Vous espérez que Marie épousera M. Harley. Quant à Guillaume, vous comptez lui découvrir une grosse dot dans quelque coin de votre province. Je suis moins riche que vous, et pourtant Elvire est fille unique, et je puis vous répondre qu’avant six mois une préfecture nous donnera au moins trente mille livres de rente. Que Guillaume embrasse la même carrière, et un jour il sera plus riche que s’il reste à cultiver ses terres : mince revenu qui n’a que de l’apparence.

— Mon amie, vous vous trompez sur mon compte, répliqua madame de Boussac. Si j’ai fait parfois quelque