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INDIANA.

homme de bronze, et il s’en allait pour qu’elle n’eût pas le triomphe de le voir pleurer. En vérité, je ne sais lequel était plus malheureux d’elle ou de lui. Elle était cruelle par vertu, comme il était bon par faiblesse ; elle avait de trop la patience qu’il n’avait pas assez ; elle avait les défauts de ses qualités, et lui les qualités de ses défauts.



M. Delmare.

Autour de ces deux êtres si mal assortis se remuait une foule d’amis qui s’efforçaient de les rapprocher, les uns par désœuvrement d’esprit, les autres par importance de caractère, d’autres par suite d’une affection mal entendue. Les uns prenaient parti pour la femme, les autres pour le mari. Ces gens-là se querellaient entre eux à l’occasion de M. et madame Delmare, tandis que ceux-ci ne se querellaient point du tout ; car, avec la systématique soumission d’Indiana, jamais, quoi qu’il fît, le colonel ne pouvait arriver à engager une dispute. Et puis venaient ceux qui n’y entendaient rien et qui voulaient se rendre nécessaires. Ceux-là conseillaient à madame Delmare la soumission, et ne voyaient pas qu’elle n’en avait que trop ; d’autres conseillaient au mari d’être rigide et de ne pas laisser tomber son autorité en quenouille. Ces derniers, gens épais, qui se sentent si peu de chose qu’ils craignent toujours qu’on leur marche sur le corps, et qui prennent fait et cause les uns pour les autres, forment une espèce que vous rencontrerez partout, qui s’embarrasse continuellement dans les jambes d’autrui, et qui fait beaucoup de bruit pour être aperçue.

M. et madame Delmare avaient fait particulièrement des connaissances à Melun et à Fontainebleau. Ils retrouvèrent ces gens-là à Paris, et ce furent les plus âpres à la curée de médisance qui se faisait autour d’eux. L’esprit des petites villes est, vous le savez sans doute, le plus méchant qui soit au monde. Là, toujours les gens de bien sont méconnus, les esprits supérieurs sont ennemis-nés du public. Faut-il prendre le parti d’un sot ou d’un manant, vous les verrez accourir. Avez-vous querelle avec quelqu’un, ils viennent y assister comme à un spectacle ; ils ouvrent les paris ; ils se ruent jusque sous vos semelles, tant ils sont avides de voir et d’entendre. Celui qui tombera, ils le couvriront de boue et de malédictions ; celui qui a toujours tort, c’est le plus faible. Faites-vous la guerre aux préjugés, aux petitesses, aux vices ? vous les insultez personnellement ; vous les attaquez dans ce qu’ils ont de plus cher, vous êtes perfide et dangereux. Vous