Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 7, 1854.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
LÉLIA.



Suspendu aux barreaux de la cellule… (Page 124.)

Quand ses larmes cessèrent d’amuser Sténio, pour s’épargner le soin de la consoler, il se mit à l’endoctriner d’un ton pédant, et lui répéta tous les lieux communs du Nord, pensant qu’ils seraient tout nouveaux dans le Midi. Il lui permit d’être catholique, lui donnant à entendre, fort peu délicatement, que la religion était faite pour les intelligences bornées, que le peuple en avait besoin, et qu’il était bon de l’encourager. Il en vint à lui prouver que ce qu’elle faisait était d’un bon exemple pour sa femme de chambre, et que d’ailleurs c’était une affaire de bonne compagnie que de se conformer au ton du jour. Il termina sa dissertation en lui disant que ce qui était bienséance dans sa manière extérieure serait, dans son intimité, du dernier mauvais goût, et il l’engagea à faire de la dévotion le matin et de la galanterie le soir. À ce discours, la Zinzolina prit sa revanche et se moqua de lui, surtout lorsqu’elle apprit qu’il était ruiné. Elle fit alors la généreuse, lui offrit sa table et sa voiture ; et ce fut certainement de grand cœur, car la Zinzolina était libérale à la manière de ses pareilles ; mais l’air de protection qu’elle prit avec Sténio fut pour lui le dernier coup. Un homme en place avait marchandé les chants de sa lyre ; une prostituée lui promettait les dons de ses amants. Il se leva furieux, et sortit pour ne jamais la revoir.

Quand il vit la dévotion régner partout, et qu’il apprit le grand crédit de l’abbesse des Camaldules, son ironie ne connut plus de bornes. Toute l’amertume qu’il avait couvée contre Lélia se réveilla à l’idée de la voir heureuse ou puissante. Il s’était consolé de ce qu’il appelait une vengeance de sa part, en se persuadant qu’elle le paierait cher, que l’ennui dévorerait sa vie, que ses compagnes la tourmenteraient, et que, douée, comme elle l’était, d’un caractère inflexible, elle ferait bientôt un éclat qui la forcerait de quitter le cloître. Quand il vit qu’il s’était trompé, il s’imagina devoir être humilié par cette destinée florissante, et sa mélancolie maladive empira. Il comprit sa vie petitement et jalousa tout ce qui n’était pas flétri et brisé comme lui. Il envia jusqu’aux titres, jusqu’aux richesses des autres hommes. Il fut saisi d’une haine instinctive contre le cardinal, et se plut à émettre des doutes outrageants sur la pureté des relations de l’abbesse avec lui. Il oublia cette tolérance élégante et sceptique qu’il avait apprise au foyer de la civi-