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LÉLIA.

ment et des sentiments de devoir, voilà pour son rôle de citoyen. Ces lois ont concilié ces besoins et ces devoirs de telle façon qu’en renonçant à son rôle de citoyen l’homme est sacrifié à la femme, et qu’en renonçant à l’amour il est sacrifié à la société.



Magnus les regarda d’un air égaré… (Page 133.)

« Nous ne pouvions ni l’un ni l’autre sortir de ce dédale. Aussi, Sténio, nous nous sommes arrêtés sur le seuil ; vous avez renoncé à l’amour. Que ne puis-je dire : Vous y avez renoncé pour la société ! Mais cette société qui vous gouvernait vous faisait horreur. Vous avez compris qu’on ne pouvait s’élever sur ses abus sans lâcheté. Il vous restait un grand rôle, la lutte contre ses abus.

« Ce rôle de réformateur vous a lassé trop vite, et vous vous êtes jeté dans l’écume du torrent que vous ne vouliez ni suivre ni remonter. Vous vous y laissez bercer comme un insecte qui se noie dans la lie des coupes, et qui meurt dans ce vin où l’homme puise la vie ou l’ivresse, la force généreuse ou la fureur brutale. Voilà pourquoi je vous dis que vous êtes un être faible, et que vous n’existez pas.

« Quant à moi je souffre ; si c’est là ce que vous voulez savoir et ce qui peut vous consoler de votre ennui, sachez-le bien, ma vie est un martyre ; car, si les grandes résolutions enchaînent nos instincts, elles ne les détruisent pas. J’ai résolu de ne pas vivre, je ne cède pas au désir de la vie ; mais mon cœur n’en vit pas moins éternellement jeune, puissant, plein du besoin d’aimer et de l’ardeur de la vie. Ce feu sans aliment me consume ; et plus mon âme s’exalte dans la vie divine, plus elle se renouvelle dans le regret et le besoin de la vie humaine. Ce cœur si froid, si altier, si insensible, selon vous, Sténio, est un incendie qui me dévore ; et ces yeux que vous n’aviez vus pleurer qu’une seule fois, versent, chaque nuit, devant ce crucifix, des larmes qu’ils ne sentent même plus couler, tant la source en est féconde, intarissable !…

— Et ces larmes tombent sur le marbre insensible ! ah ! Lélia ! qu’elles tombent sur mon cœur ! »

Sténio, emporté par un retour invincible de passion, se précipita aux pieds de Lélia et les couvrit de baisers.

« Tu aimes, s’écria-t-il ! oh ! oui, tu aimes ! je le sais, je le comprends maintenant, toi que j’ai tant méconnue, tant calomniée !…

— J’aime, répondit Lélia en le repoussant avec une