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LÉLIA.

fermeté mêlée de douceur ; mais je n’aime personne, Sténio ; car l’homme que je pourrais aimer n’est pas né, et il ne naîtra peut-être que plusieurs siècles après ma mort.



Il vit l’abbesse des Camaldules agenouillée près de Sténio…
(Page 134.)

— Ô mon Dieu ! dit Sténio en sanglotant, ne puis-je être cet homme ? Toi, prophétesse qui as arraché au ciel les secrets de l’avenir, ne peux-tu faire un miracle, ne peux-tu faire que j’anticipe sur le cours des âges, et que, seul parmi les hommes, je mérite ton amour !

— Non, Sténio, répondit-elle, je ne puis t’aimer, car je ne puis faire que tu m’aimes ! »

LXIV.

Sténio erra les nuits suivantes autour du monastère ; mais il n’y put jamais pénétrer. Les escarpements de la montagne ne lui offrirent plus de passage, même au péril de ses jours. On avait fait sauter le bloc de laves qui joignait la montagne aux terrasses du couvent par une rampe escarpée, presque impraticable. Ce dangereux sentier, jeté comme un pont sur l’abîme, n’avait pas effrayé Sténio. Il fut miné, et Sténio trouva un jour au fond du ravin les pics qui la veille baignaient leurs crêtes dans les nuages. De l’autre côté de la montagne, les murs du monastère n’offraient plus la moindre brèche où l’on put poser le pied. Les gardiens de la porte avaient été changés : ils étaient désormais incorruptibles. Sténio chercha, imagina, essaya tous les moyens ; aucun ne lui réussit. Il épuisa le reste de ses ressources d’argent et acheva de ruiner sa santé mal raffermie, sans pouvoir percer les murailles enchantées qui lui cachaient l’objet de ses rêves. L’abbesse, informée de ses tentatives, lui fit dire plus d’une fois en secret que tout était inutile, qu’elle ne pouvait consentir à le revoir, et qu’elle prendrait toutes les mesures pour déjouer son obstination. Sténio persévérait dans son dessein avec un aveuglement qui tenait de près à la folie.

Il avait cédé à l’ascendant qu’elle exerçait sur lui, la nuit où il l’avait quittée, abattu et troublé. Mais à peine s’était-il retrouvé seul avec ses pensées, qu’il s’était reproché de n’avoir pas su vaincre l’incrédulité de Lélia par une obsession plus ardente. Il avait rougi de cet instant de naïveté qui l’avait rempli de honte, de douleur