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JEAN ZISKA.

sante des esprits, résolut de tenter un coup hardi : elle rassembla quelques troupes, sortit secrètement de la ville avec un seigneur de Schwamberg, et alla attaquer à l’improviste le redoutable Ziska, dans le district de Pilsen. Ziska n’avait avec lui, en cet instant, qu’une petite troupe de taborites, avec leurs femmes et leurs enfants, qui les suivaient partout. Réfugié sur une colline ou il n’y avait que pierres et broussailles, et que la cavalerie de la reine ne pouvait gravir sans mettre pied à terre, il n’attendait pourtant pas sans inquiétude l’issue d’un combat où il se voyait entouré de tous côtés. Les femmes des taborites le sauvèrent par un stratagème singulier : aux approches de la nuit, elles étendirent leurs robes et leurs voiles dans les broussailles, où les Impériaux devaient s’engager tout bottés et éperonnés. Dès qu’ils eurent laissé leurs chevaux au bas de la colline, et qu’ils eurent fait quelques pas dans ces filets, ils s’y embarrassèrent si bien les pieds, qu’ils ne purent avancer ni reculer ; et, tandis qu’ils essayaient de se dépêtrer, Ziska fondit sur eux, et les tailla en pièces. La reine et son général prirent la fuite, à la faveur de la nuit.

En attendant que Sigismond put s’attaquer en personne à l’audacieuse insurrection des hussites, Ziska, poursuivant son œuvre, détruisit ou fit détruire par les nombreuses bandes de ses adhérents presque toutes les églises conventuelles et les monastères de la Bohême. On compte cinq cent cinquante de ces édifices dont il ne laissa pas pierre sur pierre. Les historiens catholiques ne tarissent pas en gémissements sur les funestes résultats de cette dévastation. Les pompeuses descriptions qu’il nous ont laissées de ces sanctuaires du luxe et de la paresse expliquent assez la rage d’un peuple laborieux et pauvre, et qui avait vu prélever sur son travail et sur ses besoins l’impôt exorbitant du clergé. Le monastère de la Cour royale, à Prague, avait sept chapelles, dont chacune était de la grandeur d’une église. Autour du jardin, on pouvait lire l’Écriture sainte sur les murailles, en majuscules, sur de belles planches, et les lettres grossissant toujours, à proportion de la hauteur de la muraille. Mais rien n’approchait de la magnificence des Bénédictins d’Opatowitz.

Leur couvent avait été fondé par Wratislas, premier roi de Bohême, au onzième, siècle, et l’on n’y recevait que des personnes riches, à la condition qu’elles y apporteraient tous leurs biens. Il y avait là un certain trésor qui, depuis longtemps, alléchait ces vieux burgraves de l’intérieur, dont nous avons déjà parlé, brigands qui, sous prétexte de guerre ou de religion, avaient toujours flairé, et maintenant essayaient pour leur compte la conquête des couvents. Celui-là était le rêve d’un certain pillard, nommé Jean Miesteczki, qui ne cessait de rôder autour, attiré par la merveilleuse aventure de Charles iv, dont le pays avait gardé souvenance. Bien que cette chronique soit une disgression, fidèle à notre amour pour cette partie de l’histoire que nous appelons le coloris, nous la raconterons à nos lectrices. Des auteurs plus graves que nous l’ont consignée en latin.

Un jour de l’année 1359, l’empereur Charles, étant à la chasse, disparut avec deux de ses écuyers et ne rejoignit ses compagnons que le soir à Kœnigsgratz. L’empereur se mit à table, ne répondit que par un sourire à ceux que son absence avait effrayés, et se contenta de leur dire qu’un serment épouvantable l’empêchait de s’expliquer sur sa disparition mystérieuse. Cependant on remarqua que l’empereur avait au doigt une bague d’une forme antique, ou était enchâssé un diamant tel, que le trèsor impérial n’en avait jamais possédé d’aussi précieux.

On admira ce joyau, on se perdit en commentaires. L’empereur mourait d’envie de parler. Enfin, lorsque le bon vin l’eut rendu plus communicatif, il réfléchit un peu, déclara qu’il pouvait raconter son aventure avec certaines restrictions, sans violer son serment, et se décida à rapporter ce qui suit.

Il était entré dans un monastère pour se reposer, et il avait été fort bien reçu et régalé à merveille par l’abbé, qui le prenait pour un seigneur de la cour. Après le repas, pressé de dire son nom, il avait promis de le faire dans l’église seulement, en présence des deux plus anciens moines et de l’abbé. Celui-ci ayant choisi ceux en qui il avait le plus de confiance, et ayant conduit l’empereur dans l’église, l’empereur se nomma et leur déclara que le désir de voir leur trésor l’avait amené chez eux. Il leur engagea en même temps sa foi d’empereur des Romains qu’il n’en prendrait rien, et ne souffrirait jamais qu’on leur en prît la moindre chose. L’abbé, à ces paroles, fut saisi d’une grande frayeur, se retira à l’écart, et, après avoir délibéré longuement avec ses deux moines, il répondit au monarque : « Très-clément souverain, nous vous dirons que des soixante religieux que nous sommes ici, il n’y a que nous trois qui ayons connaissance du trésor. Quand il en meurt un des trois, on confie le secret à un autre et nous sommes de serment de n’ouvrir le trésor à âme vivante. D’ailleurs, l’accès en est fort dangereux et ne convient point à Votre Majesté. »

L’empereur demanda qu’ils l’associassent, lui quatrième, à la prestation du serment et à la connaissance du trésor. Les moines inquiets délibérèrent encore ; et, n’osant ni refuser, ni consentir, lui proposèrent de deux choses l’une, ou de voir le trésor sans voir le lieu, ou de voir le lieu sans voir le trésor.

Montrez-moi seulement le trésor, dit l’empereur, et je serai content.

Il faut donc, dirent les moines, que vous vous abandonniez à notre conduite.

Mes chers pères, dit l’empereur, ma vie est entre vos mains.

« La-dessus, ils prennent l’empereur par la main, le mènent dans un enclos obscur (conclave), pavé de briques, allument deux cierges, lui mettent un capuchon baissé sur la tête, de sorte qu’il ne pouvait voir que ce qui était à ses pieds ; ensuite les moines ayant levé quelques briques, il aperçut confusément une caverne très-profonde où il lui fallait descendre. Quand il fut arrivé en bas, les moines le tournèrent et le retournèrent jusqu’à ce qu’il en fût étourdi. Alors ils le conduisirent dans une cave souterraine longue de deux rues. Enfin ils lui ôtèrent son capuchon et le menèrent dans une chambre pleine d’argent en lingots, d’or en barres, de croix, de paix (pacificalia), et d’autres ornements d’église enrichis de pierreries, et quantité d’autres joyaux.

« Sire, dit alors l’abbé, tous ces trésors sont à vous ; nous les gardions pour Votre Majesté. Daignez en prendre tout ce qu’il vous plaira.

Dieu me préserve, répondit Charles, de toucher aux biens ecclésiastiques !

Il ne sera pas dit, répliqua l’abbé, que Votre Majesté s’en retourne d’ici les mains vides. »

Et il lui mit au doigt la bague, qu’en achevant ce récit l’empereur montrait à ses compagnons de chasse, sans vouloir leur indiquer ni le nom ni la situation du monastère. Il s’estimait peut-être heureux d’en être sorti, et on l’approuva fort, sans doute, d’avoir refusé les offres insidieuses de l’abbé, lorsque pour l’éprouver celui-ci lui avait dit : Tout cela est à vous. Parole de moine : Si l’empereur l’eût pris au mot, il est douteux qu’il eût remonté l’escalier. Quoi qu’il en soit, ses courtisans eurent bientôt appris des écuyers qui l’avaient accompagné, qu’il s’agissait du trésor des Bénédictins d’Opatowitz, et de cette façon « la mine fut éventée. »

La suite de l’histoire de ce trésor montre à quel point les moines tenaient à ces inutiles richesses. Un demi-siècle après l’aventure de Charles iv, le couvent d’Opatowitz en éprouva une plus tragique à la même occasion. Jean Miesteczki, profitant des ravages de Ziska pour s’enrichir aussi de son côté, arriva sur le soir, à cheval, avec deux de ses compagnons, sous prétexte de rendre ses devoirs à l’abbé, qui s’appelait Pierre Laczur. Le brigand fut bien reçu et bien traité. Mais au milieu du souper, il en vint comme par hasard deux autres, et puis trois, et puis enfin toute la bande, qui tomba sur les moines et en tua un bon nombre. Pendant cette exécution, Miesteczki s’emparait de l’abbé et lui commandait