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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

puissent rencontrer ; elle est instruite, raisonne bien sur toutes choses, et j’ai des motifs de croire qu’elle n’est accessible à aucune idée fausse ou étroite. Elle resta donc dans la chambre aux apparitions pendant assez longtemps pour étonner et inquiéter ses camarades. Tout se passa pourtant dans le plus grand silence. Lorsqu’elle en sortit, elle était fort pâle, et des larmes coulaient, dit-on, de ses yeux. Mais elle dit aussitôt à ses camarades : « Mes amis, si M. Cagliostro est sorcier, c’est un sorcier menteur, ne croyez rien de ce qu’il vous montrera. » Elle ne voulut pas s’expliquer davantage. Mais Conciolini m’ayant raconté, quelques jours après, à un de mes concerts, cette merveilleuse soirée, je me promis d’interroger la Porporina, ce que je ne manquai pas de faire la première fois qu’elle vint chanter à Sans-Souci. J’eus quelque peine à la faire parler. Voici enfin ce qu’elle me raconta :



Est-ce que vous ne me reconnaissez pas ? (Page 4.)

« Sans aucun doute, M. Cagliostro possède des moyens extraordinaires pour produire des apparitions tellement semblables à la réalité, qu’il est impossible aux esprits les plus calmes de n’en être pas ému. Pourtant il n’est pas sorcier, et sa prétention de lire dans ma pensée n’était fondée que sur la connaissance qu’il avait, à coup sûr, de quelques particularités de ma vie : mais c’est une connaissance incomplète, et je ne vous conseillerais pas, Sire (c’est toujours la Porporina qui parle, observa le roi), de le prendre pour votre ministre de la police, car il ferait de graves bévues. Ainsi, lorsque je lui demandai de me montrer la personne absente que je désirais voir, je pensais à maître Porpora, mon maître de musique, qui est maintenant à Vienne ; et, au lieu de lui, je vis apparaître dans la chambre magique un ami bien cher que j’ai perdu cette année.

— Peste ! dit d’Argens, cela est beaucoup plus sorcier que d’en faire voir un vivant !

— Attendez, messieurs. Cagliostro, mal informé, ne se doutait pas que la personne qu’il montrait fût morte ; car, lorsque le fantôme eut disparu, il demanda à mademoiselle Porporina si elle était satisfaite de ce qu’elle venait d’apprendre. « D’abord, monsieur, répondit-elle, je désirerais le comprendre. Veuillez me l’expliquer. — Cela dépasse mon pouvoir, répondit-il ; qu’il vous suffise de savoir que votre ami est tranquille et qu’il s’occupe utilement. » Sur quoi la signora reprit : « Hélas !