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SPIRIDION.

du chapitre, ayant amené ma délivrance au moment où j’étais en proie à ce délire, je n’avais pu manquer d’attribuer mon salut à ces causes surnaturelles ; et le reste de la vision s’expliquait assez par la lutte qui s’était établie en moi entre le désir de ressaisir la vie et l’affaissement de tout mon être. Il n’était donc rien dans tout cela dont ma raison ne triomphât par des mots ; mais les mots ne remplaceront jamais les idées ; et quoiqu’une moitié de mon esprit se tînt pour satisfaite de ces solutions, l’autre moitié restait dans un grand trouble et repoussait le calme de l’orgueil et la sanction du sommeil.



Qu’il s’enfuit laissant tomber sa corbeille… (Page 36.)

« Alors je fus pris d’un malaise inconcevable. Je sentis que ma raison ne pouvait pas me défendre, quelque puissante et ingénieuse qu’elle fût, contre les vaines terreurs de la maladie. Je me souvins d’avoir été tellement dominé par les apparences que j’avais pris mes hallucinations pour la réalité. Naguère encore, étant plein de calme, de force et de contentement, j’avais cru voir des larmes sortir d’une toile peinte, j’avais cru entendre la parole d’un enfant qui confirmait ce prodige.

« Il est vrai qu’il y avait une légende sur ce portrait. Dans mon âge de crédulité, j’avais entendu dire qu’il pleurait à l’élection des mauvais Prieurs ; et l’enfant, nourri à son tour de cette fable, avait été fasciné par la peur, au point de voir ce que je m’étais imaginé voir moi-même. Que de miracles avaient été contemplés et attestés par des milliers de personnes abusées toutes spontanément et contagieusement par le même élan d’enthousiasme fanatique ! Il n’était pas surprenant que deux personnes l’eussent été ; mais que je fusse l’une des deux, et que je partageasse les rêveries d’un enfant, voilà ce qui m’étonnait et m’humiliait étrangement. Eh quoi ! pensai-je, l’imposture du fanatisme chrétien laisse-t-elle donc dans l’esprit de ceux qui l’ont subie des traces si profondes, qu’après des années de désabusement et de victoire, je n’en sois pas encore affranchi ? Suis-je condamné à conserver toute ma vie cette infirmité ? N’est-il donc aucun moyen de recouvrer entièrement la force morale qui chasse les fantômes et dissipe les ombres avec un mot ? Pour avoir été catholique, ne me sera-t-il jamais permis d’être un homme, et dois-je, à la moindre langueur d’estomac, au moindre accès de fièvre, être en butte aux terreurs de l’enfance ? Hélas !