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SPIRIDION.

plein de trouble et de frayeur, n’emportant pour tout mérite, aux pieds du juge suprême, que le combat opiniâtre de mes sentiments religieux contre l’action dissolvante d’un siècle sans religion. Mais j’espère, et mon désespoir même enfante chez moi des espérances nouvelles ; car, plus je souffre de mon ignorance, plus j’ai horreur du néant, et plus je sens que mon âme a des droits sacrés sur cet héritage céleste dont elle a l’insatiable désir… »



C’est ainsi qu’il parlait… (Page 54.)

C’était la troisième nuit de cet entretien, et, malgré l’intérêt puissant qui m’y enchaînait, je fus tout à coup saisi d’un tel accablement, que je m’assoupis auprès du lit de mon maître tandis qu’il parlait encore, d’une voix affaiblie, au milieu des ténèbres ; car toute l’huile de la lampe était consumée, et le jour ne paraissait point encore. Au bout de quelques instants, je m’éveillai ; Alexis faisait entendre encore des sons inarticulés et semblait se parler à lui-même. Je fis d’incroyables efforts pour l’écouter et pour résister au sommeil ; ses paroles étaient inintelligibles, et, la fatigue l’emportant, je m’endormis de nouveau, la tête appuyée sur le bord de son lit. Alors, dans mon sommeil, j’entendis une voix pleine de douceur et d’harmonie qui semblait continuer les discours de mon maître, et je l’écoutais sans m’éveiller et sans la comprendre. Enfin, je sentis comme un souffle rafraîchissant qui courait dans mes cheveux, et la voix me dit : « Angel, Angel, l’heure est venue. » Je m’imaginai que mon maître expirait, et, faisant un grand effort, je m’éveillai et j’étendis les mains vers lui. Ses mains étaient tièdes, et sa respiration régulière annonçait un paisible repos. Je me levai alors pour rallumer la lampe ; mais je crus sentir le frôlement d’un être d’une nature indéfinissable qui se plaçait devant moi et qui s’opposait à mes mouvements. Je n’eus point peur et je lui dis avec assurance :

« Qui es-tu, et que veux-tu ? es-tu celui que nous aimons ? as-tu quelque-chose à m’ordonner ?

— Angel, dit la voix, le manuscrit est sous la pierre, et le cœur de ton maître sera tourmenté tant qu’il n’aura pas accompli la volonté de celui… »

Ici la voix se perdit ; je n’entendis plus aucun autre bruit dans la chambre que la respiration égale et faible d’Alexis. J’allumai la lampe, je m’assurai qu’il dormait, que nous étions seuls, que toutes les portes étaient fer-