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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

ment, mais qui entretenait une température très-supportable. Une seule ouverture cintrée éclairait cette pièce, qui n’était cependant pas trop sombre ; les murs étaient blanchis à la chaux et peu élevés.

On frappa trois coups à la porte, et le gardien cria à travers, d’une voix forte :

« Prisonnière numéro trois, levez-vous et habillez-vous ; on entrera chez vous dans un quart d’heure. »

Consuelo se hâta d’obéir et de refaire son lit avant le retour du gardien, qui lui apporta du pain et de l’eau pour sa journée, d’un air très-respectueux. Il avait la tournure empesée d’un ancien majordome de bonne maison, et il posa ce frugal ordinaire de la prison sur la table, avec autant de soin et de propreté qu’il en eût mis à servir un repas des plus recherchés.

Consuelo examina cet homme, qui était d’un âge avancé, et dont la physionomie fine et douce n’avait rien de repoussant au premier abord. On l’avait choisi pour servir les femmes, à cause de ses moeurs, de sa bonne tenue, et de sa discrétion à toute épreuve. Il s’appelait Schwartz, et déclina son nom à Consuelo.

« Je demeure au-dessous de vous, dit-il, et si vous veniez à être malade, il suffira que vous m’appeliez par votre fenêtre.

— N’avez-vous pas une femme ? lui demanda Consuelo.

— Sans doute, répondit-il, et si vous avez absolument besoin d’elle, elle sera à vos ordres. Mais il lui est défendu de communiquer avec les dames prisonnières, sauf le cas de maladie. C’est le médecin qui en décide. J’ai aussi un fils, qui partagera avec moi l’honneur de vous servir…

— Je n’ai pas besoin de tant de serviteurs, et si vous voulez bien le permettre, monsieur Schwartz, je n’aurai affaire qu’à vous ou à votre femme.

— Je sais que mon âge et ma physionomie rassurent les dames. Mais mon fils n’est pas plus à craindre que moi ; c’est un excellent enfant, plein de piété, de douceur et de fermeté. »

Le gardien prononça ce dernier mot avec une netteté expressive que la prisonnière entendit fort bien.

« Monsieur Schwartz, lui dit-elle, ce n’est pas avec moi que vous aurez besoin de faire usage de votre fermeté. Je suis venue ici presque volontairement, et je n’ai aucune intention de m’échapper. Tant que l’on me traitera avec décence et convenance, comme on paraît disposé à le faire, je supporterai sans me plaindre le régime de la prison, quelque rigoureux qu’il puisse être. »

En parlant ainsi, Consuelo, qui n’avait rien pris depuis vingt-quatre heures, et qui avait souffert de la faim toute la nuit, se mit à rompre le pain bis et à le manger avec appétit.

Elle remarqua alors que sa résignation faisait impression sur le vieux gardien, et qu’il en était à la fois émerveillé et contrarié.

« Votre Seigneurie n’a donc pas de répugnance pour cette nourriture grossière ? lui dit-il avec un peu d’embarras.

— Je ne vous cacherai pas que, dans l’intérêt de ma santé, à la longue, j’en désirerais une plus substantielle ; mais si je dois me contenter de celle-ci, ce ne sera pas pour moi une grande contrariété.

— Vous étiez cependant habituée à bien vivre ? Vous aviez chez vous une bonne table, je suppose ?

— Eh ! mais, sans doute.

— Et alors, reprit Schwartz d’un air insinuant, pourquoi ne vous feriez-vous pas servir ici, à vos frais, un ordinaire convenable ?

— Cela est donc permis ?

— À coup sûr ! s’écria Schwartz, dont les yeux brillèrent à l’idée d’exercer son trafic, après avoir eu la crainte de trouver une personne trop pauvre ou trop sobre pour lui assurer ce profit. Si Votre Seigneurie a eu la précaution de cacher quelque argent sur elle en entrant ici… il ne m’est pas défendu de lui fournir la nourriture qu’elle aime. Ma femme fait fort bien la cuisine, et nous possédons une vaisselle plate fort propre.

— C’est fort aimable de votre part, dit Consuelo, qui découvrait la cupidité de M. Schwartz avec plus de dégoût que de satisfaction. Mais la question est de savoir si j’ai de l’argent en effet. On m’a fouillée en entrant ici ; je sais qu’on m’a laissé un crucifix auquel je tenais beaucoup, mais je n’ai pas remarqué si on me prenait ma bourse.

— Votre Seigneurie ne l’a pas remarqué ?

— Non ; cela vous étonne ?

— Mais Votre Seigneurie sait sans doute ce qu’il y avait dans sa bourse ?

— À peu de chose près. » Et en parlant ainsi, Consuelo faisait la revue de ses poches, et n’y trouvait pas une obole. « M. Schwartz, lui dit-elle avec une gaieté courageuse, on ne m’a rien laissé, à ce que je vois. Il faudra donc que je me contente du régime des prisonniers. Ne vous faites pas d’illusions là-dessus.

— Eh bien, Madame, reprit Schwartz, non sans faire un visible effort sur lui-même, je vais vous prouver que ma famille est honnête, et que vous avez affaire à des gens estimables. Votre bourse est dans ma poche ; la voici ! » Et il fit briller la bourse aux yeux de la Porporina, puis il la remit tranquillement dans son gousset.

« Puisse-t-elle vous profiter ! dit Consuelo étonnée de son impudence.

— Attendez ! reprit l’avide et méticuleux Schwartz. C’est ma femme qui vous a fouillée. Elle a ordre de ne point laisser d’argent aux prisonnières, de crainte qu’elles ne s’en servent pour corrompre leurs gardiens. Mais quand les gardiens sont incorruptibles, la précaution est inutile. Elle n’a donc pas jugé qu’il fût de son devoir de remettre votre argent au gouverneur. Mais comme il y a une consigne à la lettre de laquelle on est obligé, en conscience, de se conformer, votre bourse ne saurait retourner directement dans vos mains.

— Gardez-la donc ! dit Consuelo, puisque tel est votre bon plaisir.

— Sans aucun doute, je la garderai, et vous m’en remercierez. Je suis dépositaire de votre argent, et je l’emploierai, pour vos besoins comme vous l’entendrez. Je vous apporterai les mets qui vous seront agréables ; j’entretiendrai votre poêle avec soin ; je vous fournirai même un meilleur lit et du linge à discrétion. J’établirai mon compte chaque jour, et je me paierai sur votre avoir jusqu’à due concurrence.

— À la bonne heure ! dit Consuelo ; je vois qu’il est avec le ciel des accommodements ; et j’apprécie l’honnêteté de M. Schwartz comme je le dois. Mais quand cette somme, qui n’est pas bien considérable, sera épuisée, vous me fournirez donc les moyens de me procurer de nouveaux fonds ?

— Que Votre Seigneurie ne s’exprime pas ainsi ! ce serait manquer à mon devoir, et je ne le ferai jamais. Mais Votre Seigneurie n’en souffrira pas ; elle me désignera, soit à Berlin, soit ailleurs, la personne dépositaire de ses fonds, et je ferai passer mes comptes à cette personne pour qu’ils soient régulièrement soldés. Ma consigne ne s’oppose point à cela.

— Fort bien. Vous avez trouvé la manière de corriger cette consigne, qui est fort inconséquente, puisqu’elle vous permet de nous bien traiter, et qu’elle nous ôte cependant les moyens de vous y déterminer. Quand mes ducats d’or seront à bout, j’aviserai à vous satisfaire. Commencez donc par m’apporter du chocolat ; vous me servirez à dîner un poulet et des légumes ; dans la journée vous me procurerez des livres, et le soir vous me fournirez de la lumière.

— Pour le chocolat, Votre Seigneurie va l’avoir dans cinq minutes ; le dîner ira comme sur des roulettes ; j’y ajouterai une bonne soupe, des friandises que les dames ne dédaignent pas, et du café, qui est fort salutaire pour combattre l’air humide de cette résidence. Quant aux livres et à la lumière, c’est impossible. Je serais chassé sur-le-champ, et ma conscience me défend de manquer à ma consigne.

— Mais les aliments recherchés et les friandises sont également prohibés ?

— Non. Il nous est permis de traiter les dames, et