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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

pas dire un seul mot. La campagne était muette et déserte ; aucune agitation ne se faisait plus pressentir dans la citadelle. On trouva, derrière un hallier, une voiture attelée de quatre chevaux, où l’inconnu monta avec Consuelo. Karl se mit sur le siége. Le troisième individu disparut, sans que Consuelo y prît garde. Elle cédait à la hâte silencieuse et solennelle de ses libérateurs ; et bientôt le carrosse, qui était excellent et d’une souplesse recherchée, roula dans la nuit avec la rapidité de la foudre. Le bruit des roues et le galop des chevaux ne disposent guère à la conversation. Consuelo se sentait fort intimidée et même un peu effrayée de son tête-à-tête avec l’inconnu. Cependant lorsqu’elle vit qu’il n’y avait plus aucun danger à rompre le silence, elle crut devoir lui exprimer sa reconnaissance et sa joie ; mais elle n’en obtint aucune réponse. Il s’était placé vis-à-vis d’elle, en signe de respect ; il lui prit la main, et la serra dans les siennes, sans dire un seul mot ; puis il se renfonça dans le coin de la voiture ; et Consuelo, qui avait espéré engager la conversation, n’osa insister contre ce refus tacite. Elle désirait vivement savoir à quel ami généreux et dévoué elle était redevable de son salut ; mais elle éprouvait pour lui, sans le connaître, un sentiment instinctif de respect mêlé de crainte, et son imagination prêtait à cet étrange compagnon de voyage toutes les qualités romanesques que comportait la circonstance. Enfin la pensée lui vint que c’était un agent subalterne des invisibles, peut-être un fidèle serviteur qui craignait de manquer aux devoirs de sa condition en se permettant de lui parler la nuit dans le tête-à-tête.



Je n’ai pas pu me retenir de lui donner un coup… (Page 82.)

Au bout de deux heures de course rapide, on s’arrêta au milieu d’un bois fort sombre ; le relais qu’on y devait trouver n’était pas encore arrivé. L’inconnu s’éloigna un peu pour voir s’il approchait, ou pour dissimuler son impatience et son inquiétude. Consuelo mit pied à terre aussi, et se promena sur le sable d’un sentier voisin avec Karl, à qui elle avait mille questions à faire.

« Grâce à Dieu, Signora, vous voilà vivante, lui dit ce fidèle écuyer.

— Et toi-même, cher Karl ?

— On ne peut mieux, puisque vous êtes sauvée.

— Et Gottlieb, comment se trouve-t-il ?