Page:Sand - Adriani.djvu/61

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feignit d’en sortir, curieuse probablement de voir de quel air je regardais la belle Laure. Pendant quelques moments, je crus me sentir sous son œil d’Argus, clignant à travers quelque bosquet. Mais je l’oubliai bientôt pour ne songer qu’à regarder en effet sa maîtresse.

Quant à celle-ci, après avoir fait lentement le tour d’un carré de verdure grillé par le soleil, elle revint s’asseoir sur un banc contre un mur chargé de vignes, et si près de moi, si bien placée en profil, qu’un sot eût pu croire qu’elle posait là pour se faire admirer.

Mais, malheureusement pour mon amour-propre, la vérité est qu’elle m’avait déjà parfaitement oublié. Je pus donc me laisser aller à une contemplation qui eût fait la béatitude ou plutôt la catalepsie de notre ami Daniel.

Je n’étais pas tout à fait tranquille cependant. À la trouver si absorbée, l’idée de la folie me revenait, et je craignais toujours de la voir se livrer à quelque excentricité affligeante. Il n’en fut rien. Elle resta presque un quart d’heure immobile comme une statue. Le soleil montait, et, se faisant déjà chaud, tombait sur sa tête nue, sans qu’elle prît garde à lui plus qu’à moi. Elle a toujours ces magnifiques cheveux bruns touffus et bouffants qui font comme une couronne naturelle à sa tête de Muse ; mais ce n’est pas la Muse antique qui regarde et commande : c’est la Muse de la renaissance qui rêve et contemple.