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ses nouvelles dans l’après-midi. Il avait un peu de fièvre et s’agitait pour savoir quelles personnes étaient dans la pièce voisine. On lui dit que c’étaient mon père et moi. Il voulut nous voir ; mon père était bien forcé de lui témoigner de l’intérêt et de le remercier de ce qu’il avait fait pour moi. Il n’écouta pas, et se tournant vers moi, il me demanda si j’allais encore le quitter. « Non, répondis-je, je resterai tant qu’il vous plaira.

— Merci, reprit-il ; quand vous êtes là, je me sens mieux.

Il ne fallait plus me parler d’aller danser le soir. On dut changer le spectacle et je restai trois jours et trois nuits dans la chambre du malade, presque toujours assise auprès de lui et souvent la main dans la sienne.


SEPTIÈME LETTRE

Juste Odoard à Mlle  de Nesmes.


Je l’ai vu enfin, ce grand personnage, grand de toute la tête plus que moi, beau comme un dieu antique, timide comme une jeune fille, mélancolique et doux, sympathique et charmant à ce point que j’ai peur de me prendre d’amitié sérieuse pour lui sans être payé de retour. J’ai dans l’idée que les gens parfaits doivent trouver tous les autres au-dessous d’eux. Tu m’aimes pourtant, toi ; il n’y a que cela qui me donne un peu d’aplomb dans la vie.

Il s’est informé de moi en descendant de voiture, et tout de suite m’a cherché dans le parc où j’avais été contempler encore l’admirable vue qu’il domine.

M.  d’Autremont, ou M.  Flaminien, comme l’appelle Champorel quand il lui parle, a, comme je te l’ai dit, vingt-six ans, mais on lui en donnerait bien trente. Sa figure porte les traces des grandes douleurs de sa première jeunesse. Il est bien mis, avec une sorte de négligence. Sa démarche est celle d’un homme qui s’abandonne à la vie, plutôt qu’il ne la retient et qui semble avoir renoncé à toute espèce de lutte. Il est venu à moi, la main ouverte et le sourire aux lèvres ; mais c’était le sourire un peu