Page:Sand - Antonia.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tu supporter la joie ? Allons, laisse pendre tes coiffes, puisque tu ne peux pas les relever, et descends comme tu es… Madame d’Estrelle te verra pleurer de plaisir, et cela ne lui fera pas de peine, va !

— Julien ! Julien ! dans mon plaisir, j’ai de la peine, moi ! et de la peur surtout !

— Tu crains d’avoir à remercier M. Antoine ? Allons, boudeuse ! c’est se montrer trop enfant !

Madame Thierry était près de s’évanouir. Julien s’impatientait presque contre elle, car cette émotion lui faisait perdre des minutes, des secondes qu’il eût pu passer auprès de Julie. Marcel, qui était ravi des bonnes nouvelles apportées par elle, s’impatienta aussi du retard de sa tante, et monta pour hâter son apparition. Julie resta donc seule quelques instants dans l’atelier.

Ces instants, rapides à coup sûr, comptèrent plus tard dans ses souvenirs comme un siècle de vie, car la lumière se fit dans son âme d’un seul jet éblouissant. « Ton bonheur est trouvé, lui disait une voix intérieure douée d’une autorité souveraine : il est ici. Il n’est point ailleurs que dans la possession d’un amour immense, au sein d’une existence cachée et enfermée étroitement. La mère de Julien a connu et savouré ce bonheur durant toute sa jeunesse. Le commerce du monde et l’aisance n’ont rien ajouté à sa félicité. Ils l’ont plutôt amoindrie par des préoccupations étrangères à l’amour. Oublie le monde, tu en vaudras mieux. Compte avec tout ton passé, qui t’a