Page:Sand - Antonia.djvu/183

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respect qui l’avait surprise à première vue devenait en elle comme une crainte émue qui le lui faisait aimer davantage. Il ne lui était plus possible de voir en lui un inférieur, et pourtant ce jeune artisan faisait partie de la classe dont on disait autour d’elle : Ces gens-là ! Elle s’efforçait parfois, quand elle causait avec ses amis, de plaider pour les intelligents et les forts, de quelque rang qu’ils fussent. Ses amis étaient assez avancés pour lui répondre : « Vous avez mille fois raison, la naissance n’est rien, le mérite seul est quelque chose ; » mais c’étaient là des maximes à l’usage des personnes éclairées, et rien de plus. La pratique de l’égalité n’était nullement passée dans les mœurs, et les mêmes personnes ne manquaient pas, un instant après, de blâmer vivement tel duc qui avait fumé ses terres avec une dot roturière, ou telle princesse qui s’était coiffée d’un petit officier de fortune jusqu’à vouloir l’épouser, au grand scandale des honnêtes gens. Une jeune fille, une jeune veuve pouvaient s’éprendre d’un homme bien né, fût-il pauvre ; mais, dès qu’il n’était pas né, c’était un entraînement honteux, un attrait impudique ; elle sacrifiait ses principes à ses sens ; le mariage ne justifiait rien, elle tombait dans le mépris public. Julie, qui avait vécu d’estime et de considération, seuls dédommagements de sa triste jeunesse, avait des frissons glacés quand elle entendait parler ainsi, et, si l’objet de sa passion secrète fût entré en ce moment dans son petit cercle en apparence si tolérant et si bonhomme, elle