Page:Sand - Antonia.djvu/21

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nait à choisir entre le couvent et un mari désagréable ; j’ai eu peur de la claustration éternelle, et j’ai accepté l’éternelle humiliation d’un mariage mal assorti. J’ai fait comme tant d’autres, j’ai cru que la richesse remplaçait le bonheur. Le bonheur ! je ne savais pas, je n’ai même jamais su ce que c’était. On m’a dit que c’était, avant tout, de rouler carrosse, de porter des diamants et d’avoir loge à l’Opéra. On m’a étourdie, grisée, endormie avec des présents… Il ne faut pas dire qu’on m’a forcé la main, ce ne serait pas vrai. Il y avait bien derrière moi, en cas de refus, des grilles, des guichets, des verrous, la prison à perpétuité du cloître ; mais il n’y avait ni hache ni bourreau, et je pouvais dire non, si j’avais eu du courage. Nous n’en avons pas, ma chère baronne, avouons-le ; nous autres femmes, nous ne savons pas donner franchement notre démission et cacher nos printemps sous le voile d’étamine, ce qui serait pourtant plus fier, plus franc et peut-être plus doux que de nous laisser tomber dans les bras du premier étranger qu’on nous présente. Voilà donc ma lâcheté, mon aveuglement, ma sottise, ma vanité, mon oubli de moi-même, ma faute en un mot ! J’espère n’en commettre jamais d’autre ; mais je ne peux pas oublier que je suis punie par où j’ai péché. J’ai laissé l’ambition frivole disposer de ma vie, et, aujourd’hui, je vois qu’on m’avait trompée, que je ne suis pas riche, que je dois vendre diamants et chevaux, et que je risque même de n’avoir bientôt plus sur ma tête le toit d’une maison qui porte mes