Page:Sand - Antonia.djvu/31

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— Je vous comprends, répondit madame d’Estrelle avec un sourire triste, vous voulez me faire épouser quelque digne vieillard de vos amis, car je ne suppose pas que vous me proposiez un monstre. Merci, ma chère baronne, je ne veux plus me louer au service d’un malade pour de gros honoraires ; car, pour dire crûment les choses, voilà le bonheur que vous rêvez pour moi. Eh bien, autant je serais capable de servir et de soigner tendrement un père, si j’en avais un, ou seulement un vieux ami qui aurait besoin de moi, autant je suis résolue à ne pas retomber sous le joug d’un étranger infirme et morose. J’ai rempli en conscience ces tristes devoirs auprès de M. d’Estrelle, et tout le monde m’a rendu justice. Me voilà libre, je veux rester libre. Je n’ai plus de parents, il me reste quelques amis. Je ne demande rien de plus, et je vous prie très-sérieusement de ne pas chercher à me faire un bonheur selon vos idées, que je ne partage pas. Vous êtes encore, mon amie, comme j’étais à seize ans quand on m’a mariée. Vous avez gardé les illusions qu’on m’avait données, vous croyez qu’on ne peut se passer de richesse et de représentation, vous êtes donc plus jeune que moi. Tant mieux pour vous, puisque le sort vous a liée à un mari qui ne vous refuse rien. C’est tout ce qu’il vous faut, n’est-ce pas ? Moi, je serais plus exigeante, je voudrais aimer. Vous riez ? Ah ! oui, je sais vos théories. « La lune de miel est courte, m’avez-vous dit cent fois ; mais la lune d’or est la lumière qui ne s’éteint pas. » Moi, j’ai la folie